En beau fusil

Des femmes en colère, en beau fusil, le Vésuve et le Fuji-Yama en éruption, de la lave brûlante partout, un trop-plein qui déborde enfin. Pire que la détonation de semi-automatiques, le silence assourdissant de plusieurs minutes d’Emma Gonzalez, survivante de Parkland, telle une amazone pleurant sa rage devant un million de personnes, une « warrior » aux jeans troués ravalant sa colère contre le lobby des armes à feu, déstabilisant le « et la vie continue ».
Des femmes en colère, encore et encore, des femmes #MoiAussi, #NoMore, #AgressionNonDenoncee. La vie s’arrête parfois.
La colère est palpable et effraie. Les femmes qui dérangent sont forcément dérangées (merci Sylvie Marchand). Ce n’est pas une carte de visite séduisante, même pour l’un des sept péchés capitaux. J’ai passé des années en colère, à blasphémer comme un charretier, tantôt à cause des hommes ou de l’injustice de la maternité, tantôt à cause des mensonges servis aux patients, les raisons ne manquent jamais.
Et cette colère est à la fois un moteur à injection puissant et une arme à double tranchant. Elle nous empoisonne si on la refoule, elle nous pourrit la vie si on l’extériorise. Il faut s’en servir un temps pour agir, puis dépasser le cancer de la colère. Revenir à la méditation, à l’humour, regarder La voix, tricoter, que sais-je, tout pour aider à faire la paix avec cette sainte colère. En général (sauf cette semaine, où une louve solitaire a pété un câble chez YouTube), lorsqu’elles fulminent, les femmes prennent rarement les armes, elles versent des larmes.

Les guerrières se saisissent de la plume aussi, heureusement. C’est fort, les mots, et ça ne vous troue pas la peau. C’est ce qu’a fait l’actrice militante Rose McGowan avec son livre Debout (Brave, en anglais), publié fin février, un manifeste et un récit bouillant de colère, palpitant d’anecdotes et galvanisant d’énergie. Avec son crâne rasé en couverture (comme Emma Gonzalez), McGowan est à l’origine des dénonciations #MeToo, la première à avoir osé nommer celui qu’elle appelle le « monstre » dans son livre. Dans sa chute, Weinstein a entraîné toute une culture de la complaisance, celle d’Hollywood et, plus largement, celle des hommes de pouvoir.
Mais là je suis dans un livre, fa’que fuck off. Soyez outrés.
Se faire définir par les autres
J’ai dévoré Debout de McGowan, une valeur aberrante, une bibitte en orbite, ce qu’on étiquette comme une rebelle — elle a été la conjointe du très décoratif chanteur Marilyn Manson — ou un « canon libre » qui finit par se révolter contre tous les systèmes. « Je suis là pour vous dire qu’être “différent”, c’est la clé », écrit la militante. En voilà une qui refuse de se laisser définir par les autres, surtout pas par les normes esthétiques d’Hollywood, et qui nous enjoint par tous les moyens de la suivre, même si les libres penseurs sont voués à être écrasés. C’est ce qu’il faut changer.

McGowan s’adresse à tous ceux qui en ont marre de ne pas se poser de questions ou de se taire tout simplement pour cadrer, « to fit in ». Elle propulse sa #RoseArmy vers des causes qui dépassent largement la domination ou les agressions sexuelles. « Je soutiens activement toute forme de pensée indépendante et d’esprit critique. » Tout ce qui tranche et ébranle, tout ce qui ose et dit vrai peut se réclamer de son armée de femmes et d’alliés.
Et son récit de vie — qui ferait un excellent blockbuster — suinte à la fois la colère, la saine indignation, le ras-le-bol du rôle préfabriqué de pitoune du star-system.Elle débarque avec un sweatshirt à capuche orange sur le plateau de Stephen Colbert (The Late Show), tranchant avec l’image de son corps très peu vêtu sur le tapis rouge des Oscar il y a 20 ans. La quarantaine assumée et badass, elle revêt aujourd’hui le rôle d’égérie du mouvement #MoiAussi. Elle refuse de jouer le jeu, quitte à ne plus jouer du tout. Un peu comme Virginie Despentes, en France, dont le parcours est similaire, elle dénonce le roi nu et sème le malaise.
Aujourd’hui, réalisatrice, chanteuse, photographe, entrepreneure, Rose refuse d’être un produit manipulé par le patriarcat de la secte d’Hollywood. « Le plus bizarre, dans cette industrie, c’est qu’on vous repère parce que vous êtes unique. Pourtant, le système fait absolument tout pour supprimer cette particularité qui lui a tellement plu au début — un peu comme la société traditionnelle fait rentrer les enfants dans un moule. »
Je choisis d’essayer de changer les normes sociétales, donc je dois être une sorte de politicienne. Sauf qu’aucun vote ne peut me destituer.
Et un doigt d’honneur, un !

Même énergie combative, mais de nombreuses voix à l’unisson dans le collectif Libérer la colère que viennent de lancer les Éditions du Remue-ménage. Et ça déménage. Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy ont réuni des voix de tous les horizons, connues ou moins, sous cette couverture rose où figure un majeur indigné. Des femmes abusées en colère, des mères en ta, des immigrantes en estie, des dépressives en crisse, des femmes blessées, fatiguées, usées, violées, révulsées, victimes du deux-poids-deux mesures, jamais crues, à peine entendues, remises à leur place, quelque part entre la charge mentale et le sois-belle-et-tais-toi. C’est libérateur de les lire.
Tiens, Pénélope McQuade qui pensait être en préménopause, mais qui était simplement en crisse. Bouffées de chaleur contre bouffées de colère. Des jeunes mères qui ont lu Les tranchées de Fanny Britt pour réaliser qu’elles étaient « perpétuellement en tabarnak ». Elles noient leur surdose de petites parfaites sur Instagram dans une bonne dose de vino et d’antidépresseurs.
Ces femmes ne parlent pas d’une colère qui fait l’apologie de la violence ou des groupes d’extrême droite, non. Elles font jaillir une colère tue depuis des siècles, celle de leur bassin génétique, qu’elles portent malgré elles et en raison du rôle qu’on leur confère au sein de la société. On fait taire les « %#@*? ! de folles » de toutes les manières possibles. Simplement en leur disant qu’elles sont folles. Mais comme l’explique Rose McGowan, on s’en fiche bien de passer pour amères ou folles : « Si ce n’est pas ça, ce sera autre chose, alors autant avoir une cause à défendre. »
Et plus nous serons nombreuses, moins nous aurons besoin d’être fâchées.
«Cheerleaders» ou «cheap labor» ?
Cheerleader pour la NFL, c’est un peu le rêve pompon, non ? Un article paru cette semaine dans le New York Times nous révèle les dessous (si on peut dire) de ce sport critiqué. On exige des filles — les garçons sont rares — qu’elles quittent le stade en tenue officielle, on contrôle leurs fréquentations à l’extérieur du travail, leur poids est suivi de près (1,4 kilo d’écart permis), le port de « sweat pants » est interdit.Les filles doivent repasser des auditions chaque année pour mériter l’honneur d’être des symboles sexuels sur le terrain et d’occuper ces messieurs dans les estrades.
Elles doivent aussi payer leur uniforme (quelques centaines de dollars) et elles reçoivent à peu près le salaire minimum. Mais les « pom-pom girls » disent être ravies de l’expérience. Même principe qu’à Hollywood, finalement : on vous octroie une faveur. L’industrie fait des milliards sur leur dos. Chacune des 32 équipes de la NFL (sauf cinq) vaut plus de 2 milliards de dollars, selon le magazine Forbes.
Craqué pour le film Charlotte a du fun de Sophie Lorain, que j’ai vu avec mon B d’ado durant la relâche scolaire. J’avais oublié de vous en parler, mais il sera disponible bientôt sur iTunes. En attendant, je trouve libérateur de savoir que des adolescentes songent à s’approprier leur plaisir, mais inquiétant qu’elles passent toujours pour des « salopes » pour les bonnes ou mauvaises raisons. Ça ne date pas d’hier. Je me suis fait traiter de « croqueuse d’hommes » toute ma vie parce que j’appréciais leur compagnie. Mon personnage préféré, c’est Mégane, anarchiste de l’amour, de la graine de Che en jupe, pas dupe, allumée et indépendante. Des filles debout et une finale heureuse. Mon ado a trouvé ça « pas pire », mais l’important, c’est de pouvoir parler sexualité féminine après…