Facebook, ou les leçons d’un scandale

Cambridge Analytica est le plus récent scandale, mais il y en aura d’autres. Il y en a eu déjà plusieurs. C’est par le vecteur des scandales que les enjeux associés à la régulation de ce qui se déroule dans le cyberespace viennent à nos oreilles. Un accident survient, on s’inquiète, on lit les mea-culpa, on change nos paramètres par défaut et on passe à autre chose. On continue à faire comme si le numérique n’appelait pas de changements majeurs dans la façon de concevoir et d’appliquer les lois.

Ces dérives dans l’utilisation des données qui sont entre les mains de Facebook tiennent en grande partie à l’inadéquation du régime juridique des plateformes numériques. Le statut de ces interfaces par lesquelles nous accédons au monde connecté et agissons dedans ne reflète pas l’ampleur des enjeux ni le rôle névralgique qu’elles tiennent dans nos vies de tous les jours.

Dans les premières années d’Internet, on célébrait cet espace de liberté désormais à la disposition de chacun. Les États se faisaient dire qu’ils n’avaient pas d’affaire dans ce cyberespace, royaume de la libre créativité ! Pour conforter ce vent d’innovation dopé par les orgies d’investissements spéculatifs dans les start-up, on a postulé un cyberespace sans citoyens. Un monde dans lequel il n’y a que des « consommateurs » connectés qui « consentent » à interagir. En cas de coup dur, il suffit de les rassurer sur le fait qu’on est « fermement engagé » à protéger leur vie privée !

Alors, nul besoin pour les États de se demander comment adapter les approches de régulation aux conditions qui étaient en train de s’installer. Il suffit de s’en remettre aux « modèles d’affaires » et à leurs règles par défaut qui font fi des frontières, des États et des droits des autres lorsque ça « brime » l’innovation !

Les « effets réseaux » font en sorte qu’Internet est devenu pour l’essentiel un ensemble de plateformes qui, par leur position dominante, régulent plus efficacement que les États. L’Internet actuel est tout autre chose que le paradis romantique rêvé. Les logiques imposées par les « modèles d’affaires » que personne n’ose remettre en cause engendrent des enjeux dépassant la portée des lois sur les données personnelles.

Dans plusieurs pays, les plateformes bénéficient d’un régime juridique limitant radicalement leur responsabilité pour tout ce que les « consommateurs » font circuler sur leurs environnements. Elles sont dans l’enviable position d’être presque les seules à capter la valeur résultant des mouvements d’information sur Internet tout en n’étant responsables de rien !

Un tel régime juridique laisse se produire « accidents » et désarticulation des équilibres puis essaie ensuite tant bien que mal de réparer la casse. Mais si rien n’est fait pour encadrer ces quasi-monopoles, les accidents vont se produire de plus en plus souvent. Bien sûr, on peut s’amuser à « contrôler » individuellement nos données personnelles, changer nos paramètres, voire se déconnecter de Facebook. Autant d’artifices qui continuent de faire croire naïvement que tout cela n’est qu’une affaire individuelle, de « contrat » entre internautes et une entreprise ayant à coeur nos données !

Or, les enjeux associés aux données ne concernent pas que Facebook. Dans un monde hyperconnecté, les données circulent dans des plateformes qui carburent à l’analyse des mouvements des individus et des masses.

Ce plus récent scandale Cambridge Analytica vient mettre en lumière ce qu’il advient lorsqu’on persiste à tenir pour acquis que l’innovation technique n’a pas d’effet sur les droits et obligations des personnes ou sur les processus démocratiques. Tant qu’on négligera d’appliquer des règles du jeu aux plateformes sous prétexte de protéger « l’innovation », on demeurera exposé à ce genre d’accident.

Rattrapage

 

Il est dommage qu’il faille de ces scandales révélant après coup les vulnérabilités engendrées par les encadrements désuets pour convenir de la nécessité de régulations destinées à rétablir les équilibres et à protéger contre les pratiques délétères. Des initiatives commencent à se manifester en Europe, en Allemagne et en France, pour revoir le régime juridique des plateformes en ligne.

Les mutations induites par la connectivité généralisée doivent être accompagnées d’investissements afin de développer des régulations calibrées aux risques découlant des traitements massifs de données. Les États qui se disent « préoccupés » par les situations qui se révèlent périodiquement au fil des scandales devraient multiplier les efforts et les ressources pour développer des modes de régulation conséquents. Dans nos univers connectés, la véritable innovation passe par le développement de règles du jeu configurées pour prévenir les abus. Il urge de reconnaître que le cyberespace est constitué de citoyens, pas seulement de « consommateurs » consentants.


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