Le vernis de M. le Ministre
Qu’un ministre québécois de l’Éducation en fonction prenne la peine d’écrire un essai pour présenter sa vision de l’école est certes un événement. Il convient donc de saluer l’audace de Sébastien Proulx, qui, en publiant Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire (Septentrion, 2018, 144 pages), se mouille plus que ses prédécesseurs.
J’avais hâte de lire cet essai consacré à un sujet aussi fondamental et rédigé par l’homme qui préside actuellement à la destinée de l’école québécoise. Pourtant, après l’avoir lu d’un trait dès sa parution, mon enthousiasme a fondu. J’avais même décidé, à titre de commentateur, de passer mon tour. Sous des dehors attrayants — le titre a beau être lourd, il fait tout de même l’éloge de la lecture et de l’écriture alors que la quatrième de couverture insiste sur l’importance de la culture générale —, ce livre, avais-je conclu, ne tenait pas ses promesses et allait être un coup d’épée dans l’eau.
À mon grand étonnement, l’essai a récolté de surprenants bravos. Dans Le Journal de Montréal, Mathieu Bock-Côté a salué la « vision plutôt classique de l’école » présentée par le ministre. Denise Bombardier a qualifié ce dernier d’« homme sans prétention qui possède une vision de l’éducation qui nous ramène à l’essentiel ». Dans le Huffington Post, Louis-André Richard, prof de philo au collégial, a parlé lui aussi d’un « rappel à l’essentiel ». Son collègue Réjean Bergeron a fait la même chose dans Le Devoir, dont le directeur, Brian Myles, fut un des seuls à parler plutôt d’un « livre maladroit », rédigé par un ministre dont le gouvernement contredit le discours.
L’histoire essentielle
Presque tous, donc, sauf Myles et les syndicats d’enseignants, ont aimé le livre. Ça se comprend. Après avoir rappelé quelques truismes — le travail et l’effort de l’élève sont importants, les familles doivent valoriser l’éducation, les enseignants doivent être bons —, Sébastien Proulx se livre, à répétition, à une belle apologie de la culture générale, un discours qui ne peut que séduire les honnêtes hommes et femmes de ce temps.
« Pour certains, écrit le ministre, la culture générale n’est qu’un vernis qui sert à briller en société et qui s’avère inutile pour les "vraies affaires". C’est une erreur. C’est une vision à courte vue, parce que la culture générale permet de forger à la fois notre identité et notre autonomie. » Et Proulx de se lancer dans des éloges de la philosophie, de la littérature, des sciences et, surtout, de l’histoire, si essentielle « pour comprendre le monde qui [nous] entoure ».
Le ministre déploie toute son éloquence quand il parle de cette dernière matière, sa favorite. Fasciné par le Moyen Âge, par la Deuxième Guerre mondiale et par quelques grands personnages — Napoléon, Churchill et Lincoln —, Proulx affirme que l’histoire a assouvi sa curiosité, lui a fait prendre conscience « de l’importance d’une culture générale forte » et du fait que « l’histoire influence [son] quotidien ».
De la méfiance
On applaudit, évidemment, mais on ne peut que rester méfiant. Ces belles paroles, en effet, ne s’accompagnent d’aucun engagement précis. Le ministre, d’un côté, dit valoriser « une formation générale commune forte », mais déclare, à la page suivante, qu’il faut réviser le régime pédagogique pour lui donner plus de flexibilité. Y aura-t-il plus d’histoire et de littérature à l’école ? On ne le sait pas. On doit se contenter d’apprendre que le ministre aime lire. On sait, cependant, que le gouvernement auquel appartient ce ministre a abandonné le projet du précédent gouvernement d’imposer un cours obligatoire d’histoire du Québec au cégep.
Que penser, de même, des attaques que Proulx réserve aux « objecteurs de changements », ces gens, écrit-il, « qui nient la réalité » et s’opposent aux nécessaires évolutions ? Qui sont ces gens, jamais nommés ? Quels changements refusent-ils ? On comprend, entre les lignes, que le ministre n’aime pas les syndicats et les enseignants qui s’opposent à la création d’un ordre professionnel — une vieille proposition dont on cherche encore les bienfaits —, à l’obligation de détenir une maîtrise pour enseigner — à quoi bon, si elle ne sert qu’à encourager les sciences de l’éducation au détriment de la culture disciplinaire des enseignants ? — à l’évaluation des enseignants — on veut bien, mais selon quels critères ? — et à l’introduction massive des technologies de l’information et de la communication dans les classes, une « révolution » à laquelle les créateurs de ces machines veulent soustraire leurs enfants, comme le rapportent Marc Dugain et Christophe Labbé dans L’homme nu (Laffont/Plon, 2016).
J’ai finalement décidé de parler de ce livre pour en dire ceci : sous un vernis de culture générale, cet essai demeure sous l’influence des « vraies affaires » à la sauce libérale.