L’éveil des consciences par la culture

L’an dernier, la nouvelle aurait peut-être fait plouf. Cette semaine, la surreprésentation masculine des chorégraphes (l’un d’eux, par protestation, s’est désisté) derrière le spectacle Femmes des Grands Ballets canadiens suscite un tollé.

Rebaptisé en catastrophe Parlami d’amore, montré du doigt pour sa misogynie de fond, ce collectif-là. Des voix grognaient dans l’ombre qui jugeaient l’héritage de modernité de Gradimir Pankov effacé par les orientations conservatrices de son successeur, Ivan Cavallari, à la tête de la compagnie de danse. Cette fois, la lumière jaillit plus fort. Effet de rayonnement du mouvement #MoiAussi.

Les oeuvres d’art et leur gestation possèdent de concert ce pouvoir d’éclairer les consciences, cariatides de l’âme collective portant l’histoire comme la libération de ses chaînes. Journée du 8 mars, joue ton rôle de haut-parleur ! Mais que l’éveil sur tous les fronts se perpétue douze mois par année ! Un éveil social autant que culturel. L’un ne va guère sans l’autre…

Non seulement la culture appartient-elle à tout un chacun plutôt qu’au noyau des privilégiés, mais elle épouse les soubresauts de sa société. S’il fallait mieux l’écouter…

Hélas ! jugée encore suspecte, élitiste (mot honni), traîtresse aux aïeux attelés à leur charrue. Si rares sont les personnalités politiques à sauter dans l’arène chez nous pour ses beaux yeux. Autant applaudir quand ce miracle survient.

Au secours de la mal-aimée

 

Courage ? Naïveté ? Sébastien Proulx vole au secours de la culture. Le ministre de l’Éducation a pondu un petit essai chez Septentrion, vrai manifeste au titre sans équivoque : Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire.

« Cette démarche est un antidote au discours ambiant, au cynisme et au temps qui passe sans nous permettre de creuser les sujets en profondeur », crie-t-il dans le désert. Car l’ouvrage reçoit surtout (pas seulement) une volée de bois vert. Remarquez, on n’ira pas reprocher à des enseignants surmenés de hurler contre ses belles visées, sous ressources vitales sabrées. Faute d’augmenter de façon substantielle le budget alloué à son portefeuille, les meilleures intentions seront sans effets de toute façon.

On peut critiquer ceci ou cela à la lecture. Reste que le ministre élève le débat en des zones où les Québécois auraient tout intérêt à le suivre. Pensez donc ! On vit ici au XXIe siècle, naviguant sur les ondes de la Toile, apparemment évolués, scolarisés, ouverts, en orbite vers une égalité hommes-femmes dont on s’est pris à rêver.

Sauf que… près de 20 % des Québécois de 16 à 65 ans sont des analphabètes fonctionnels et que 34 % peinent à déchiffrer un texte un tantinet complexe. La plupart d’entre eux ont fréquenté l’école obligatoire jusqu’à 16 ans. Cherchez l’erreur. Et qui maîtrise si bien chez nous ce français dont on se prétend si fiers ?

La Révolution tranquille, à coups d’expérimentations, de nivellement par le bas pour éviter trop d’échecs scolaires, a raté en grande partie son virage de l’éducation. Reste à redresser la roue. Mais pourquoi la curiosité, l’étude et le respect de l’autre inspireraient-ils les uns et les autres quand le rire à tout prix, le divertissement, le culte de l’argent et l’ambition tiennent le haut du pavé et qu’un anti-intellectualisme issu de la Grande Noirceur roule sur sa lancée d’antan ?

Lancer le signal

 

Si personne ne lance le signal que lire, réfléchir, s’informer apporte son sel à la grande aventure humaine, comment blâmer l’indolence des esprits ?

« La culture générale est faite de connaissances, certes, mais c’est avant tout une façon d’être ouvert à ce qui nous entoure », lance au nom du bon sens Sébastien Proulx. Et de rappeler l’importance de la littérature comme ancrage de la civilisation dans un monde dominé par l’écran de l’immédiat.

Ce ministre de l’Éducation comprend qu’anoblir la culture est l’affaire d’une société entière. Médias, politiciens, enseignants, parents, artistes et quidams feraient bien de lancer à pleines tribunes et à pleins écrans le message qu’apprendre est un exercice excitant plutôt qu’un ennuyeux pensum.

Son petit ouvrage rédigé à la va-vite énonce des évidences à méditer : le Québec a besoin de belles écoles, éclairées, vastes, aptes à dilater les consciences. Viser la spécialisation des élèves avant de leur offrir un socle de connaissances en histoire, en géographie, en art, en sciences, en littérature et tutti quanti, c’est réduire l’horizon des esprits.

Il voit qu’on évite plus aisément les erreurs du passé en se montrant curieux de son histoire et de celle des autres. « Donner le goût de la lecture à ses enfants, c’est leur faire un legs de son vivant », écrit Sébastien Proulx dans un ouvrage aux propos plus vastes que les enjeux politiciens du jour.

Entrer en modernité, c’est lier tant de fils. Comment réparer les injustices d’hier sans comprendre d’où les coups sont partis ? La misogynie, le racisme, l’ignorance ont leurs sources aussi. Autant les remonter…

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