Les hésitations de M. Martin

La priorité est de gouverner, répète maintenant Paul Martin. Il gouvernait avant, mais ce n'était pas sa première préoccupation. Son premier but était plutôt d'obtenir un mandat populaire pour mieux gouverner par la suite. Les premiers gestes de son gouvernement visaient donc à préparer le terrain en imposant une image de changement: réorganisation des ministères, annulation du programme des commandites, discours du Trône aux allures de programme électoral et ainsi de suite...

Quand est arrivé le scandale des commandites, on a continué à miser sur la différence. Pas question d'enterrer l'affaire. Ce serait le grand ménage et il revenait à Paul Martin de faire le tour du pays pour bien afficher son indignation et calmer celle des citoyens. Le hic: ça n'a pas fonctionné. Le dernier sondage Ipsos-Reid, publié hier dans le Globe and Mail, montre que les libéraux devanceraient les conservateurs par seulement sept points et qu'au Québec, le Bloc dominerait avec 45 % des intentions de vote, bien que la marge d'erreur du sondage soit élevée dans la province.

Paul Martin voudrait bien détourner l'attention des gens vers sa façon de gouverner, mais le problème est qu'il n'avait pas prévu de faire ses preuves avant des élections printanières, mais après, et il a fait ses choix en conséquence.

Ainsi, le gouvernement a fait adopter récemment, et sans explication, un octroi de crédits équivalant au budget des neuf premiers mois de l'année financière 2004-05, ce qui s'est produit à seulement trois reprises depuis 20 ans. Une seule raison semble justifier ce geste: assurer le fonctionnement normal du gouvernement en cas d'élections et d'un long arrêt du Parlement. Une façon de faire face à «l'incertitude entourant le calendrier parlementaire», comme le décrivait le secrétaire du Conseil du trésor, Jim Judd, devant le comité des Finances du Sénat, il y a deux semaines.

Il y a eu aussi la présentation, en mars, d'un inhabituel budget principal des dépenses pour l'année 2004-05, soit l'équivalent du plan d'utilisation des crédits. La version déposée ne reflète pas entièrement les changements apportés à la structure des ministères en décembre et le gouvernement a déjà indiqué qu'il devra présenter une seconde version plus tard cette année. Du jamais vu! Les gouvernements présentent des plans supplémentaires à l'occasion, mais jamais un plan complet, revu et corrigé.

Cette décision a retardé à la fin de mai ou à cet été la présentation des plans et priorités des ministères, des documents normalement présentés en même temps que le budget des dépenses. Les comités parlementaires se voient par conséquent forcés d'étudier les crédits des ministères sans avoir l'information nécessaire pour en juger. Ce scénario ne poserait aucun problème si les élections avaient lieu ce printemps, car les comités parlementaires ne pourraient compléter leur étude, mais si le scrutin a lieu à l'automne, ils en auront le temps. Devront-ils tout reprendre à la lumière des documents complets?

La décision de Paul Martin de chambouler la structure des ministères à son arrivée au pouvoir, le 12 décembre, a compliqué le travail du Conseil du trésor. Particulièrement touché par ce remue-ménage, il s'est en plus vu confier l'examen des dépenses et de plusieurs programmes et, dans la foulée du scandale des commandites, la révision de la gouvernance des sociétés d'État.

Paul Martin ne s'est pas croisé les bras, mais l'essentiel de son action a porté sur les processus gouvernementaux. Et à vouloir tellement afficher sa volonté de changement, il en a peut-être trop fait d'un coup, disent certains. Le quart des fonctionnaires ont été affectés par la réorganisation de décembre. Plusieurs d'entre eux parlent de confusion, de désorganisation, de tensions entre ministères ou entre certains ministères et le bureau du premier ministre.

Gouverner, c'est aussi réagir et, à cet égard, ce gouvernement s'en est bien tiré si on pense aux crises de la vache folle et de la grippe aviaire. Mais pour ce qui est de l'avenir, on piétine ou on se perd dans des énoncés vagues, proches des voeux pieux. Paul Martin consulte et, chaque fois qu'il sort d'une rencontre, il qualifie de «très, très, très importants» les enjeux discutés. Difficile dans ce contexte de cerner ses priorités.

La population, quant à elle, attend encore de connaître les mesures concrètes qui la toucheront. L'entourage de Paul Martin proteste et cite le budget, le remboursement de la TPS aux villes, la bonification du programme de prêts aux étudiants, l'aide aux familles démunies pour l'épargne-études. Mais sur de grands enjeux comme la santé, l'essentiel se fait toujours attendre.

On ne mesure pas la capacité de gouverner au nombre de projets de loi déposés, mais ça reste un indicateur important. Le gouvernement Martin s'est contenté pour sa part de ressusciter les projets du gouvernement Chrétien qui étaient morts au feuilleton. Le seul projet original de ce gouvernement, celui portant sur les dénonciateurs, ne répond même pas aux attentes car son commissaire à l'intégrité n'est pas fonctionnaire du Parlement.

Le flottement qui prévaut depuis quelques semaines donne de Paul Martin l'image d'un homme hésitant. Il répète depuis plusieurs jours que gouverner est sa priorité, mais il persiste à sillonner le pays pour des visites à forte saveur électorale. Il sera au Nouveau-Brunswick aujourd'hui et en Nouvelle-Écosse demain. Il fera un détour par Toronto vendredi.

Et jusqu'à présent, il n'a pas réussi à imposer un seul thème capable de déloger les commandites. Son message est éclaté. Tout tourne autour de lui et de la notion de changement. Mais pour changer quoi? Et comment? On concocte des plans à long terme, dont un sur la santé. Mais si les élections sont à l'automne, c'est maintenant qu'il faudra du concret, car gouverner, c'est aussi pour tout de suite.

mcornellier@ledevoir.com

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