Perspectives - Lever de soleil
Après plus d'une décennie de noirceur économique, le soleil semble enfin se lever de nouveau sur le Japon. L'ancienne étoile de l'économie mondiale enregistre ces temps-ci ses premiers records de croissance depuis longtemps. Mais son ciel demeure toutefois chargé de lourds nuages.
Il fut un temps où l'économie vers laquelle tous les regards se portaient dans le monde n'était pas celle de la Chine. En ce temps-là, l'extraordinaire dynamisme du Japon faisait l'envie de tous. Ses modes de gestion et de production étaient scrutés, décortiqués, transposés et utilisés par nos meilleurs entrepreneurs. Puis est venu l'éclatement de la bulle, d'une autre bulle, celle des marchés immobiliers, au tournant de la décennie 80. Cet effondrement allait emporter tous les marchés boursiers mais aussi, au Japon, les banques, dont la majeure partie des prêts étaient justement garantis par les avoirs immobiliers de leurs gros clients institutionnels. Depuis ce jour, la deuxième économie mondiale n'a plus été que l'ombre d'elle-même.Et puis, en février dernier, on apprenait que le Japon avait enregistré, durant les trois derniers mois de 2003, une croissance économique de 1,7 %, sa meilleure performance en 13 ans, la meilleure des pays du G7 et l'équivalent d'une croissance annuelle de 6,4 %. Prudentes, les autorités japonaises s'en tiennent pour le moment à une prévision de croissance du PIB de 3 % pour 2004, après une croissance de 2,7 % en 2003 et un recul de 0,4 % l'année d'avant. Le yen, quant à lui, est à son plus haut niveau depuis quatre ans, en dépit de tous les efforts de la Banque du Japon pour freiner son allant. Jeudi, c'était au tour de la Bourse de Tokyo d'enregistrer son meilleur score en trois ans. Trois jours plus tôt, un vaste sondage rapportait l'optimisme grandissant des chefs d'entreprise du pays. Prenant acte de toutes ces bonnes nouvelles, l'agence de notation Moody's a augmenté mercredi la cote des entreprises du secteur public japonais.
Les raisons de cette reprise sont nombreuses. Il y a d'abord la Chine, évidemment. Sa croissance tonitruante des dernières années en fait une très grosse acheteuse de machinerie de construction, de semi-conducteurs d'ordinateurs ou de caméras numériques et de téléphones cellulaires, que le Japon s'est empressé de lui vendre. Cela a eu pour effet de propulser ses exportations totales vers la Chine, Hong Kong et Taïwan au premier rang, y délogeant celles prenant la route des États-Unis. Le processus d'amarrage à la locomotive chinoise en est rendu au point où les Japonais commencent à se dire que si leur pays a été un satellite de la Chine pendant plus de 2000 ans avant que celle-ci ne décline et qu'ils ne commencent eux-mêmes à s'affirmer davantage sur la scène mondiale, il est peut-être normal que le Japon regagne aujourd'hui sa place historique.
Le prolongement de la crise économique au Japon a aussi fini par convaincre plus d'une entreprise et plus d'une banque de la nécessité de faire le ménage dans leurs affaires. Cela s'est traduit par des milliers de congédiements, d'importantes radiations d'actif, un recentrage sur leurs activités principales et le recours intensif à la sous-traitance chinoise. Cela a permis aux grandes entreprises de battre le précédent record de profits, enregistré en 1990, de se remettre à investir, de relancer la construction et de tirer vers le bas le taux de chômage, qui s'élève aujourd'hui à 5 % contre 5,5 % l'an dernier, son plus haut niveau depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Cette amélioration de la situation a convaincu les ménages nippons, réputés pour être économes à l'excès, d'ouvrir un peu plus grand leurs goussets, avec une hausse, l'an dernier, de 3,4 % de leur consommation, et ce, en dépit d'un phénomène de chute des prix (déflation) en ralentissement mais toujours présent.
Passages nuageux
On continue tout de même à se méfier au Japon. En effet, ce n'est pas la première fois que l'économie y donne ainsi des signes de reprise avant de s'écraser de nouveau. Il est vrai que les dernières embellies avaient été artificiellement provoquées par des dépenses publiques débridées alors que ces dernières accusent un recul cette fois-ci.
Mais il y a d'autres raisons de s'en faire. Il ne serait pas étonnant que la Chine, sur laquelle le Japon compte tellement désormais, veuille ralentir le rythme et reprendre un peu son souffle après des années de croissance économique moyenne de presque 10 % par an. La Banque du Japon ne pourra pas non plus acheter encore bien longtemps 180 milliards de dollars américains par année pour garder le yen aussi bas que possible afin de favoriser les exportations. Avec un taux directeur presque à zéro (0,01 %), la banque centrale ne dispose malheureusement pas d'autres moyens de stimuler l'économie.
Quant à l'assainissement des entreprises et des banques, elle reste encore à faire dans plusieurs cas. Les banques comptent encore plusieurs entreprises «zombies» parmi leurs clientes, notent les économistes. Et le gouvernement continue encore de venir en aide aux banques qui refusent de reconnaître et d'éponger leurs erreurs passées.
Les pouvoirs publics sont d'ailleurs mal placés pour faire la leçon aux autres, eux dont la dette s'élève aujourd'hui à plus de 160 % du PIB alors que la moyenne dans les pays développés est de 24 %. On voit d'ailleurs mal comment ils pourront reporter plus longtemps une rationalisation substantielle de leurs dépenses et une augmentation de leurs revenus afin de faire face au vieillissement rapide de la population.
Longtemps un des critiques les plus féroces du Japon, le Fonds monétaire international (FMI) se dit aujourd'hui très impressionné par les performances japonaises des derniers mois. «Le message à retenir est que les efforts du Japon pour promouvoir la reprise économique commencent à payer», déclarait à la fin du mois de février son directeur général d'alors, Horst Koehler.
Les fils et les filles de l'empire du Soleil levant se montrent quant à eux plus circonspects. Leur confiance en l'avenir se raffermit, révélait cette semaine un sondage du quotidien économique Nihon Keizai Shimbun. La proportion de la population se disant optimiste serait en effet passée, en un an, de 6 % à 22 %. Cela laisse quand même 66 % des Japonais qui doutent de la reprise économique de leur pays.