Le devoir de platitude

Le premier ministre Jean Charest a fait une déclaration assez étonnante aux collègues du Soleil auxquels il rendait visite cette semaine dans le cadre de sa tournée des principaux quotidiens. «C'est mon job d'être plate», leur a-t-il lancé.

M. Charest, qui peut être très drôle quand il le veut bien, ne suggérait pas que la platitude soit une vertu que doit cultiver un chef de gouvernement dans l'exercice général de ses fonctions. Il parlait plus précisément des entrevues qu'il accordait.

Si c'était son objectif, il pouvait être assez content de lui cette semaine. Personne n'est sorti très emballé de ces rencontres. Plutôt que de s'en féliciter, M. Charest devrait s'en inquiéter. Il est assez difficile de comprendre comment un homme qui se plaint continuellement de la difficulté à faire passer son message peut s'inviter à toutes les tables éditoriales avec la ferme intention d'en dire le moins possible.

Robert Bourassa appréciait lui aussi le spectacle de l'air dépité des journalistes quand ils sortaient de son bureau les mains vides après deux heures d'entrevue. La différence est que M. Bourassa n'avait aucune envie de changer quoi que ce soit. Au contraire, tous ses efforts visaient à perpétuer le statu quo tandis que M. Charest prétend faire rien de moins qu'une deuxième Révolution tranquille.

Malgré la batterie de spécialistes du marketing politique dont il s'est entouré, le premier ministre demeure le canal de communication privilégié entre le gouvernement et la population. Si lui-même se fait un devoir d'être «plate», il ne devrait pas se surprendre que celle-ci manque d'enthousiasme.

Depuis le temps qu'il fait de la politique, il devrait également savoir que les médias ont horreur du vide. S'il n'y a aucun lead suggéré dans ses propos, ils vont s'arranger pour trouver quelque chose à mettre en page ou en ondes, avec tout le risque de mauvaise surprise que cela implique. Comme le disait crûment un ancien collaborateur de M. Bourassa, l'a b c de la communication en politique est de donner aux médias leur «Gaines Burger» quotidien.

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Si le problème est que M. Charest n'a rien à dire, c'est encore plus inquiétant. Ceux qui le connaissent moins sont souvent consternés par sa connaissance superficielle, voire sa totale méconnaissance de dossiers pourtant très importants.

On ne peut pas exiger du chef du gouvernement qu'il maîtrise tous les sujets comme les ministres sectoriels, mais on a souvent l'impression que M. Charest n'a pas poussé la réflexion au-delà des deux ou trois «lignes» que ses conseillers lui ont préparées. Cet amateurisme peut lui jouer de vilains tours, comme cela s'est produit cette semaine à la suite des propos qu'il a tenus au Devoir à propos des superhôpitaux de Montréal.

L'idée d'appliquer la formule des partenariats public-privé (PPP) au secteur hospitalier mérite sans doute d'être explorée, quitte à la rejeter si elle ne convient pas. De toute évidence, M. Charest a été impressionné par l'exemple britannique. Évoquant pour la première fois la possibilité d'appliquer la recette des PPP au CHUM et au CHUS, il aurait dû prendre bien soin de ne créer aucune confusion.

«Pour la construction, pour la gestion aussi. Et si on veut nous proposer une formule, on est ouvert à cela», a déclaré le premier ministre au Devoir. Si, dans son esprit, cela excluait la gestion des services de santé à proprement parler, comme l'a clairement dit le ministre de la Santé, Philippe Couillard, il aurait dû le préciser.

À l'Assemblée nationale jeudi, la porte-parole péquiste en matière de santé, Louise Harel, a eu beau jeu de mettre M. Charest en contradiction avec son ministre, l'accusant de jouer à l'apprenti sorcier avec des concepts qu'il ne maîtrise pas. Peut-être s'était-il simplement exprimé de façon nonchalante ou approximative, comme cela lui arrive souvent, mais le résultat est le même.

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La vingtaine de forums régionaux qui se tiendront entre le 15 mai et le 19 septembre, en attendant le sommet national de la mi-octobre, semblent devoir être placés sous le signe de la même superficialité, qui trahit le caractère improvisé de l'opération.

On peut toujours se gausser de ce «loto-forum», mais s'en remettre au hasard pour choisir ceux qui participeront à l'exercice n'est pas une si mauvaise idée. Les problèmes résident plutôt dans le format retenu, mais aussi dans l'objectif visé.

Dans son esprit, la tournée de consultation que coprésideront Line Beauchamp et Pierre Shedleur rappelle un peu la commission Spicer, que Brian Mulroney avait envoyée prendre le pouls des Canadiens «ordinaires», au début de 1991, dans l'espoir qu'ils sauraient trouver mieux que les politiciens un remède au mal de vivre qui rongeait le pays. Après des mois de pèlerinage controversé et coûteux d'un océan à l'autre, l'opération avait pris fin en queue de poisson.

Le gouvernement Charest a heureusement vu moins grand que la commission Spicer, qui ambitionnait au départ de rencontrer un million de Canadiens. On voit cependant mal comment les forums régionaux pourraient donner des résultats plus concrets.

Même avec la meilleure volonté du monde, que peut-on espérer de rencontres où les participants ne disposeront que de quelques minutes pour proposer des solutions à presque tous les problèmes avec lesquels la société québécoise est aux prises?

Il suffit de parcourir le document intitulé Briller parmi les meilleurs, qui servira de base aux discussions, pour avoir une idée des lieux communs qu'on y revisitera. Cela doit faire partie du devoir de platitude dont parle M. Charest.

mdavid@ledevoir.com

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