Les risques des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux procurent à chacun une capacité de se faire entendre. La semaine dernière, l’infirmière Émilie Ricard consignait sur sa page Facebook un cri du coeur sur la détresse qu’imposent aux infirmières les dérives gestionnaires dans les établissements de santé. Ce fut l’amorce d’un débat public éclairant. Mais on a également vu que les espaces virtuels peuvent aussi être le défouloir pour des propos moins nobles. Pensons à ces commentaires en forme d’appel au lynchage qu’on a pu lire sur les réseaux sociaux à la suite de l’incident survenu au palais de justice de Maniwaki.

Des faits et gestes des personnalités publiques jusqu’aux disputes avec notre entourage, tous les événements de la vie ont désormais vocation à être discutés sur le Web. Nous vivons dans un monde où l’espace public est en ligne, accessible en quelques clics sur nos téléphones ou nos tablettes. Tout le monde est doté de capacités de communiquer avec ses proches, mais aussi avec le reste de la planète connectée. Ce monde en réseau comporte plusieurs espaces qui sont publics à des niveaux différents. Une information partagée avec des « amis » dans un réseau social revêt un caractère public, à tout le moins pour ceux qui font partie du groupe. Un propos diffusé sans restriction a le potentiel d’atteindre la multitude.

Les réseaux sociaux changent les conditions du débat public : les gens de pouvoir ne sont plus seuls à parler. Il existe désormais un espace public où il est possible de dénoncer les situations que les dirigeants peuvent avoir intérêt à occulter.

Les risques

 

Mais la prise de parole n’est pas sans risque. Exposer une situation que l’on trouve inique peut nous valoir des sanctions de la part de nos clients ou de notre employeur. Publier une image peut nous faire mal paraître auprès de certains. Si la plupart des messages diffusés en ligne demeurent dans les limites du raisonnable, il en est qui vont plus loin, trop loin. Sur un réseau social, il est facile de lancer des menaces, des injures, de révéler des images ou d’autres informations qui auraient dû demeurer privées.

Dans les réseaux sociaux ou ailleurs, prendre publiquement position nécessite de connaître et d’assumer les risques inhérents. Tenir un propos en public peut engendrer des conséquences avec lesquelles il faudra vivre. Dénoncer l’inacceptable demeure hélas encore risqué. Dans certains milieux de travail, briser l’omertà peut engendrer de lourdes représailles. D’où le besoin de protéger ceux qui osent parler.

Par contre, lancer des menaces ou promouvoir la haine en ligne peut nous valoir une condamnation criminelle. Diffuser des mots, des images ou des sons emporte des risques. Le même propos échangé entre trois amis autour d’une table en dehors de tout objet connecté n’a pas les mêmes conséquences s’il est diffusé sur Facebook. C’est dire l’importance d’être conscient des lois qui régissent les propos diffusés en public. Des lois criminalisent les menaces ou le fait de conseiller de commettre un acte criminel.

Des règles régissant les rapports avec nos semblables, notamment consignées dans le Code civil, interdisent de publier des propos ou des images qui portent atteinte à la réputation des individus. Révéler les secrets de la vie privée de son voisin, d’une collègue de travail, d’un de ses proches constitue une faute civile pouvant nous valoir une condamnation à indemniser la victime. De même, publier l’image d’une personne sans son accord est a priori fautif, sauf si un motif d’intérêt public le justifie.

Les conséquences de la parole publique

 

Les lois doivent évidemment protéger cette faculté de prendre la parole qui n’est plus réservée à une poignée de privilégiés. Mais il faut aussi apprendre à vivre avec les conséquences de la prise de parole publique. Une fois qu’une information est dans l’espace public, elle entre dans l’histoire. Par exemple, publier une image dans les réseaux sociaux implique que l’on est conscient que les environnements numériques confèrent une persistance à l’information que nous avons diffusée.

On peut changer d’idée, mais on ne saurait forcer les autres à effacer les traces de nos prises de position antérieures. À moins de vouloir tomber dans la société totalitaire décrite par Orwell dans son roman 1984, on ne peut s’attendre à ce qu’on efface l’histoire. Évidemment, on peut changer d’idée, trouver que cette photo qui date nous fait mal paraître ; mais on ne peut forcer les autres à croire que notre ancien point de vue, notre ancienne vie ou notre « look » d’autrefois n’a jamais existé !

Tout un chacun dispose désormais de capacités de diffusion considérables dans les lieux publics désormais virtuels. Il importe de protéger effectivement la liberté d’expression dans ces lieux virtuels. Mais chacun doit aussi apprendre à connaître et à maîtriser les risques inhérents à cette capacité accrue de parler et de montrer.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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