Havre pour artistes en exil

Le bruit du débat autour du terme « islamophobe » dans la foulée des commémorations de l’attentat à la mosquée de Québec — l’être ou ne pas l’être — m’a semblé ces derniers temps presque irréel. Comme si la vraie vie était ailleurs…

J’avais cru, il est vrai, la toucher du doigt la semaine dernière à l’Atelier des artistes en exil dans le vieux quartier populaire de la Goutte d’Or près de Montmartre à Paris.

Un ami m’avait parlé de ce centre d’appui et de formation aux artistes réfugiés. Et de m’y engouffrer le soir, rue des Poissonniers.

« Au premier étage en face de l’ascenseur », avait précisé au téléphone Ariel Cypel, qui dirige le centre en tandem avec Judith Depaule.

L’immeuble, en sursis de démolition — il lui reste un an à vivre avant l’arrivée des pics —, arbore la petite mine. À l’intérieur, les meubles et les ordis ont été offerts par les uns et les autres ou trouvés. Se bousculent des oeuvres aux murs et des instruments au sol. La porte fut récupérée plus loin à l’étage. Ariel connaît la précarité. « L’itinérance est dans notre ADN, sourit-il. Partout et nulle part chez nous, saltimbanques rêvant d’un lieu pérenne. » Le propriétaire de l’édifice qui les héberge possède d’autres planques. S’il allait les reloger ailleurs plus tard… Qui sait ?

Missions multiples des lieux : offrir des ateliers, donc, aussi des espaces de création, donner accès à des réseaux d’artistes, à des aires de diffusion dans la métropole française, sans compter tout le reste. Ici, l’art aide aussi à vivre.

Bienvenue aux artistes en exil de toutes origines, de tous statuts, de tous champs disciplinaires, professionnels et non professionnels. « On parle de situations d’urgence pour des personnes parties de chez elles par nécessité et incapables d’y retourner sans danger. »

L’utopie qui fait vivre

Soutenu par divers organismes, la Ville de Paris et le ministère de la Culture, l’organisme vient de lancer une campagne de refinancement participatif. Il vivote mais tient bon.

Stagiaires et bénévoles donnent un coup de main, remplacés par d’autres. On y cause le français et l’anglais, l’arabe et le persan. « Pour plusieurs Africains, nous trouvons des interprètes », précise mon vis-à-vis. L’apprentissage du français passe par l’art.

Allez vous débrouiller à Paris sans maîtriser la langue. Certains l’ânonnent encore. Le lieu vit, même le soir. Entre 150 et 200 artistes réfugiés, venus surtout de Syrie et du Soudan, mais aussi d’Afghanistan, du Cameroun, de Gambie ou d’ailleurs sont inscrits aux ateliers. Judith Depaule en offre chaque mardi de théâtre, d’autres disciplines sont mises en avant : danse, musique, etc.

À ces polytraumatisés, le centre offre par la bande une aide sociale et psychologique. Sans compter les accompagnements à travers le dédale de la quête de papiers.

Ça peut sembler une goutte d’eau, l’aide aux artistes, dans une France qui recevait 100 000 demandes d’asile en 2017. Mais toute goutte d’eau est un abreuvoir. « Les conditions d’accueil se durcissent, précise Ariel. 95 % des Syriens obtiennent le droit d’asile, mais les Africains, les Soudanais surtout, ont pas mal plus de problèmes… Toutes les organisations sont débordées. »

Avec Judith Depaule, il avait d’abord dirigé entre 2008 et 2016 Confluences, théâtre doublé d’un centre culturel, qui rendit l’âme faute de fonds. Depuis 2015, leur duo orchestre le festival multidisciplinaire Péril(s)-Syrie. Ils ont hébergé quatre réfugiés dans le passé, croient à l’art, à l’entraide, voire à l’utopie.

Les couloirs de l’attente

Un photographe d’origine égyptienne me montre ses magnifiques clichés au mur, dont ceux des terribles baraquements du quartier de la Chapelle, aujourd’hui détruits : « Des Tziganes », précise-t-il. Captés de loin, tous les baraquements se ressemblent, pire, tous les gens du voyage aussi. Reste à s’approcher.

Je m’assieds avec un groupe d’artistes syriens de l’audiovisuel. Des gars sympathiques et allumés qui tâtent d’instruments de musique entre deux rigolades, quatre soupirs et trois cigarettes roulées. Ils vivent dans le coin, squattent des cousins, des amis, en attente de papiers, rêvent d’autonomie : « Venir à l’Atelier, c’est laisser aussi un peu d’intimité à ceux qui nous hébergent. Et puis, ça nous fait du bien de sentir qu’on a ici un foyer. »

« Tout est si lent », soupirent-ils en choeur. Certains vivent à Paris depuis des années, toujours sans statut, d’autres arrivent à peine. Leur exode fut une aventure. Faut pas trop poser de questions. On n’imagine même pas les parcours. Trop dur !

Pour eux, le statut d’artiste est une porte sur cette France friande des créateurs, alors que l’art aide à la découverte de soi. Clé universelle ouvrant vers l’intérieur et l’extérieur. Voix et voie de l’exil.

Depuis lundi dernier, les vitrines du Palais Royal au ministère de la Culture exposent pour deux mois des oeuvres de 14 des artistes de cet Atelier-là. Autant de fenêtres de réflexion sur le thème de l’attente. Quoi d’autre ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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