Santé: La confiance
Méfions-nous. Santé Canada nous protège. Méfions-nous chaque fois que notre santé est en jeu et que nous entrons dans le système de soins. Nous, les champions de la pilule, devons avoir un instant d'hésitation devant notre ordonnance. Nous qui aimons fréquenter les hôpitaux, soupçonnons le matériel médical chaque fois qu'il s'approche de notre peau.
C'est plate, je voudrais vous dire que c'est une blague et que j'exagère. Hélas, trois fois hélas... Quand on me dit officiellement que des milliers de gens meurent chaque année d'avoir pris des médicaments qui devaient les soulager, je frémis. Bonnie Brown, une député libérale de l'Ontario qui siège au comité permanent de la Santé, a résumé ainsi le plus grand problème: l'industrie pharmaceutique mène le bal (en anglophone qu'elle est, elle a plutôt dit: «in the driver's seat»). Les pharmaceutiques sont juge et partie lors des essais cliniques, Santé Canada dit «merci beaucoup» et des milliers de gens, peut-être jusqu'à 30 000 personnes, en crèvent. On est contents que vous existiez, Santé Canada...Votre système de surveillance est inefficace, les critiques parlent de laxisme, moi, je dis que c'est la philosophie sur laquelle repose cette institution qui est en cause. On laisse faire, et quand il y a des problèmes, on tarde à réagir car on donne la chance au fautif de réparer la faute. On dit qu'on ne peut pas tout policer, que notre système de libre entreprise repose sur la confiance, et c'est ainsi que nous sommes floués. Si on comptait tous les décès associés à cette mentalité, des bébés aux vieillards, on serait en état de choc.
Si on prend en compte le fait que les médecins québécois rédigent plus de 80 millions d'ordonnances par année, que nous en sommes à prendre des médicaments préventifs (où cela s'arrêtera-t-il?), que les effets secondaires, en plus d'être la septième cause d'hospitalisation, nous abîment le foie ou l'estomac, nous constipent, nous rendent dépendants et quoi encore... Sans remonter jusqu'à la Thalidomide — mais sans l'oublier non plus —, on comprendra pourquoi il est urgent que les essais cliniques ne relèvent pas de la seule responsabilité de ceux qui tirent profit de la vente de ce qu'ils testent.
Vous rendez-vous compte que Santé Canada ne possède pas de banque de données sur ces fameux essais cliniques? On a des données répertoriées sur les effets secondaires, c'est comme ça qu'on finit par retirer un médicament du marché, après que le mal est fait, mais pour les essais cliniques, il faut tenir le compte... par les annonces dans le métro!
Quant au matériel médical — et ça, c'est venu de Mme la vérificatrice générale —, on dépense cinq milliards et on ne surveille pas l'usage qu'on en fait après sa mise en marché. Vous ne feriez même pas ça avec votre automobile...
Pour se réconforter, on peut se dire qu'on aura bientôt une police de la santé publique, une agence, plus précisément (une autre!). Mais si on veut rester lucide, on lira l'analyse plus générale de cette journaliste du New York Times sur la santé publique dans le monde: ça parle de faillite mondiale (Betrayal Of Trust - The Collapse Of Global Public Health, par Laurie Garrett). Avant de vous lancer, sachez quand même que ce ne sont pas nos petits problèmes locaux dont il est question, c'est plutôt le SRAS, la grippe aviaire; et nous, nous sommes rassurés, nous avons maintenant notre plan d'urgence...
Le plus ennuyeux quand j'écris cela, c'est de penser aux personnes qui travaillent en santé publique. Ils ne font pas que se tourner les pouces en regardant passer le train, loin de là! Ce sont des gens qui ne ménagent pas leurs efforts, des chercheurs bien intentionnés, qui s'adaptent à l'aspect politique de la santé publique parfois malgré eux, et ils vous raconteront une ou deux anecdotes croustillantes pour vous tout seul, signe qu'ils résistent. Il y a aussi les politiciens de la santé publique, des médecins qui planent au-dessus de nos misérables têtes bien incapables de saisir les enjeux, des têtes ignares, juste bonnes à hocher le «oui docteur» qui les satisfera.
C'est vrai que c'est complexe. La dynamique entre le pouvoir politique, le commerce des entreprises à protéger et la santé du public, c'est une affaire délicate. Mais tout le monde vous le dira: notre santé passe en dernier. On sauve la face, on préserve le statu quo, voire les décisions erronées... presque toujours. Il faut pourtant le dire et le répéter: à tous les niveaux — des diététistes qui finissent par dire «mais toute une industrie dépend du lait!» aux responsables hospitaliers qui assurent avoir le contrôle lors d'une crise —, la santé doit être la priorité. Pas l'argent, pas les secrets, pas la protection du gouvernement ou d'un groupe de professionnels ou d'une industrie: la santé.
Imaginez-vous un instant ce qui changerait si on regardait tout à partir de la protection et de la préservation de la santé? Santé Canada ne serait pas l'organisme passif et prudent qu'il est, il deviendrait un lieu d'où on fait des pressions sans relâche; ça peut exister, pensez au Conseil du statut de la femme, à une époque. Santé Canada serait garante de la vigilance que nous ne pouvons pas avoir individuellement, avec des leviers dont nous ne sommes pas munis en tant que citoyens. Sans relâche, Santé Canada dénoncerait les défaillances, ferait du lobbying pour améliorer ou faire retirer un élément néfaste à la santé. Un leader. Car ce n'est pas parce qu'on est fonctionnaire qu'il faut jouer au mort, dites?
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