Courants - If it's Tuesday, it must be Brussels
Malgré son rang de « plus grosse branche d'activité au monde » selon l'Organisation mondiale du tourisme, ce dernier reste bien souvent le parent pauvre des ministères gouvernementaux, des officines économiques, des organisations sociales et... des salles de rédaction. Tous pays confondus, les responsables touristiques s'entendent au moins là-dessus. Entretien.
De passage en Belgique récemment, j'ai de nouveau abordé la question, cette fois avec le directeur adjoint de l'Office de promotion du tourisme Wallonie-Bruxelles, Pierre Coenegrachts. « Avec 2 % à peine du budget européen, dit-il, le tourisme occupe une place inversement proportionnelle à son apport économique, contrairement à l'agriculture notamment : en Belgique, on compte 200 000 emplois en tourisme, comparativement à 80 000 en agriculture.«Plus ou moins syndiquée, l'industrie touristique est hautement parcellisée par les multiples sous-secteurs impliqués : hébergement, restauration, attractions, agences de voyages, location de voitures, transport aérien... Elle peut donc difficilement se mettre en grève, par exemple, et de toute façon, avec de telles sous-catégories agissant séparément, ce serait beaucoup moins spectaculaire qu'un groupe d'agriculteurs qui descendent dans la rue pour contester une loi ! »
Ainsi, il faut jouer du coude pour arracher sa part du gâteau touristique, dans un milieu non seulement tributaire des climats mais de plus en plus fragilisé par le terrorisme, qu'il soit à mille lieues ou dans sa propre cour. Des niches en souffrent, d'autres y gagnent, dans un secteur en perpétuelle fluctuation.
Plus souvent, moins longtemps
« Pour beaucoup de gens, prendre des vacances, c'est encore partir loin, explique M. Coenegrachts. Or les événements politiques internationaux des dernières années ont forcé la découverte de l'immédiat. Depuis le temps qu'on leur répète de sortir des autoroutes ! » Aussi, jusqu'à tout récemment, les Européens allaient en vacances pendant un mois l'été, si bien que les industries et commerces fermaient leurs portes pendant cette période. « Aujourd'hui, on a tendance à partir moins longtemps, mais plus souvent, donc plus près, favorisant le court séjour et les régions. En parallèle, les voyages d'affaires subissent les affres d'un nouveau "tourisme technologique", avec vidéoconférences et téléconférences à la clé, que privilégient certaines entreprises pour contrer la menace terroriste. »
Une autre tendance lourde, en Europe et ailleurs : le tourisme thématique. Il fut un temps où le visiteur optait d'abord pour un lieu de séjour et un type d'hébergement, puis identifiait les activités régionales. « À l'inverse, on choisit de plus en plus le thème, par exemple la culture, la nature ou le farniente au soleil, pour sélectionner ensuite un endroit qui convienne à ses intérêts du moment. »
Un jour, un pays
Il y a quelques décennies, le film If it's Tuesday, it must be Brussels enfonçait le clou sur les virées des touristes américains en Europe, qui « faisaient » pratiquement un pays par jour, raconte M. Coenegrachts. « Il s'agit évidemment d'un cliché, mais cette notion reste toujours un peu présente aujourd'hui : en général, les Nord-Américains viennent très peu de temps en Belgique, bien que le marché québécois, lui, connaisse une augmentation depuis quelques années. »
Si les premiers touristes en Belgique demeurent... les Belges, suivis de voisins tels les Hollandais, les Français, les Allemands et les Britanniques, « nous misons beaucoup sur les visiteurs nord-américains pour qu'ils nous inscrivent dans leurs grands circuits touristiques en Europe. Aussi, sous les pavés, la plage... Par le tourisme d'affaires, à Bruxelles notamment, nous proposons des forfaits de loisir pour inciter les congressistes à revenir avec la famille, les amis. »
Pour le Québec, l'Office de promotion du tourisme Wallonie-Bruxelles, installé dans la vieille capitale depuis 2000, fait toute la différence, contrairement à d'autres pays qui ont la fâcheuse manie de calquer sur nos grands espaces leur représentation ici, se pétant les bretelles avec leur « bureau pour l'Amérique du Nord » ou, mieux, « pour les Amériques » ! Il faut bien mal jauger la réalité québécoise pour y parachuter l'intervention touristique depuis New York, surtout dans des marchés de plus en plus pointus.
Bye bye Sabena
« Nous voulons être présents là où il y a des liaisons aériennes relativement directes, explique Pierre Coenegrachts. Mais depuis la faillite de notre transporteur national, Sabena, on se sent un peu orphelin : c'était un trait d'union avec le reste du monde, même en présence d'autres compagnies aériennes. »
Et puis, le drapeau belge ne sort plus beaucoup sur la scène internationale, déplore-t-il : « À part la royauté, dont tout le monde est fier, et peut-être l'équipe nationale de football et quelques joueuses de tennis... » Mais le siège de la Communauté européenne ? Une arme à deux tranchants, estime M. Coenegrachts : « Ça fait parler de nous à l'échelle mondiale, mais pas toujours de la façon souhaitée ! Quand on lit ou entend que "Bruxelles a décidé ceci", ou que "Bruxelles émet des restrictions pour cela", plutôt que de citer la Communauté européenne ou le Parlement européen, ce n'est pas forcément bon pour l'image. Après cela, on essaie de faire la promotion du pays à des gens possiblement brimés par tel ou tel dossier... C'est peut-être subliminal quelque part, mais ça peut influencer jusqu'aux comportements touristiques. »
La tradition de nommer un gouvernement par sa capitale est bien ancrée partout. Dans le cas de l'Union européenne, toutefois, le « Bruxelles » implique beaucoup de monde, en fait l'Europe des Vingt-Cinq très bientôt. « Et les allusions sont rarement positives !, lance le directeur adjoint. À Paris ou Amsterdam, par exemple, ça les arrange certainement de parler de Bruxelles. Pour nous, c'est plutôt frustrant à certains moments. »
La Belgique, petit pays de dualité linguistique entouré de géants économiques et politiques, un pays de mer, de rivières et de forêts qui compte sur sa diversité comme identité à vendre aux étrangers, et dont les habitants se rabattent bien souvent sur la joie de vivre... ça vous fait penser à quelque chose ? En fait, il n'est pas du tout surprenant que les visiteurs québécois s'y sentent rapidement chez eux, tout en jouissant des avantages de l'ailleurs.
dprecourt@ledevoir.com