Qui ment?

Jacques Parizeau avait une expression qui décrit très bien ce besoin toujours inassouvi de se compliquer la vie qui caractérise le PQ. Il appelait cela «s'autopeluredebananiser». Lui-même était d'ailleurs un spécialiste de la chose.

Ce parti semble tout simplement allergique à la paix et à l'harmonie. Au moment où le gouvernement Charest est dans les câbles, les péquistes ont trouvé un nouveau motif de s'entredéchirer: Bernard Landry a-t-il oui ou non exigé la démission de Jacques Parizeau au téléphone le lendemain du référendum, comme l'affirme le journaliste Pierre Duchesne dans sa biographie de l'ancien premier ministre?

Dans un texte publié mardi, M. Parizeau affirme que «la description que fait Pierre Duchesne de la journée du 31 octobre — du téléphone du vice-premier ministre, au comité des priorités, à l'annonce de ma démission — est correcte».

Hier, M. Landry a de nouveau nié, réitérant que le seul objet de son appel, le matin du 31 octobre 1995, était de s'assurer que la réunion du comité des priorités, déjà prévue, soit maintenue. Apparemment, il ne lui a pas dit pourquoi il y tenait. C'est seulement après avoir appris que M. Parizeau avait décidé de partir qu'il aurait déclaré au comité des priorités que cette démission s'imposait. Manifestement, quelqu'un ment, mais qui?

Il est un peu troublant de voir M. Landry insister comme il le fait sur les témoignages de Guy Chevrette et Jean Royer, qui ne sont ici d'aucune utilité puisque ni l'un ni l'autre n'ont entendu la conversation téléphonique entre M. Parizeau et lui-même.

Dans une note de bas de page, M. Duchesne explique avoir reconstitué cet épisode «selon les souvenirs de Jacques Parizeau et de Lisette Lapointe», mais Mme Lapointe est la seule à être citée. C'est elle qui décrit la réaction de son mari, qui aurait été littéralement assommé par l'appel de M. Landry. M. Parizeau ne témoigne cependant pas lui-même de ses sentiments.

Dans une entrevue à La Presse, M. Duchesne a expliqué avoir fait valider la version de Mme Lapointe par un ami de M. Parizeau, qu'il n'a cependant pas identifié. Selon cet ami, l'ancien premier ministre aurait cherché à banaliser l'incident: «Il ne fallait pas, pour l'histoire, qu'on croie qu'il avait démissionné à la suite de pressions extérieures.»

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À cet égard, M. Parizeau n'avait pourtant aucun souci à se faire. L'entrevue qu'il avait accordée sous embargo à Stéphan Bureau, l'après-midi du référendum, constituait une preuve irréfutable qu'il était déterminé à partir si le NON l'emportait. Mieux encore, cela lui interdisait de rester. Finalement, si quelqu'un l'a forcé à partir, ce n'est personne d'autre que lui-même.

Le matin du référendum, M. Landry ignorait toutefois l'existence de cette entrevue. Même s'il était convaincu que le premier ministre ne pouvait plus demeurer en poste, il était tout à fait dans son tempérament de s'assurer qu'il parte, quitte à le brusquer.

En mars 1995, M. Parizeau n'avait pas du tout apprécié la sortie de son vice-premier ministre, qui avait publiquement manifesté son opposition à la tenue d'un référendum, évoquant la charge héroïque mais suicidaire de la brigade légère pendant la guerre de Crimée. Le chef du OUI avait déjà envoyé des signaux très clairs selon lesquels il envisageait un report à l'automne, mais M. Landry n'en avait tenu aucun compte.

Connaissant la brutalité avec laquelle M. Landry peut imposer ses vues, il n'est pas du tout impensable qu'il ait exigé la démission de M. Parizeau au téléphone, mais cela ne signifie pas qu'il l'ait fait. M. Parizeau dit que oui, mais ce ne serait pas la première fois qu'il tenterait de récrire l'histoire.

Durant toute sa carrière, l'ancien premier ministre a fait preuve d'une détermination qui force l'admiration. Les nombreux coups qu'il a reçus semblent toutefois lui avoir fait développer un complexe de persécution qui lui faisait dire, dans le portrait-documentaire qu'en a fait la journaliste Francine Pelletier, que personne n'avait été aussi insulté que lui dans toute l'histoire du Québec.

Dans l'enregistrement de l'entrevue qu'elle a accordée à Pierre Duchesne, Lisette Lapointe décrit en ces termes la réaction de son mari à l'ultimatum de M. Landry: «Là, il pense que, en fin de compte, Landry se dévoile... Ça fait longtemps qu'il pensait ça, et voilà, là, il se dévoile.» Faut-il comprendre que M. Parizeau soupçonnait M. Landry de comploter contre lui depuis longtemps? Voilà qui commence à ressembler à de la paranoïa. Remarquez, après ce qu'il avait lui-même fait subir à Pierre Marc Johnson huit ans auparavant, cette méfiance était compréhensible.

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À l'extérieur du PQ, rares sont ceux qui auraient reproché à M. Landry d'avoir fait ce qu'il nie aujourd'hui avoir fait. Après la malheureuse déclaration de M. Parizeau, qui a flétri le nationalisme québécois, on l'aurait plutôt félicité.

Au PQ, c'est une autre histoire. Le président de l'association de Crémazie, Maxime Barakat, un ancien «pur et dur» aujourd'hui identifié au clan de Pauline Marois, n'a pas tardé à faire un lien avec la course au leadership larvée qui sert de toile de fond à la «saison des idées».

«S'il a vraiment montré la porte à M. Parizeau, c'est un manque de loyauté flagrant, et on ne peut exiger la loyauté des militants quand on en a soi-même manqué», a-t-il déclaré. Hier, il ne semblait pas très convaincu par les explications de M. Landry.

Dans l'immédiat, le plus important pour le chef du PQ est de faire en sorte que le caucus des députés affiche une solidarité sans faille. Hier, c'est donc entouré d'une véritable escorte, comportant Pauline Marois et François Legault, qu'il s'est présenté devant les journalistes, soi-disant pour dresser le bilan de la première année du gouvernement Charest. On ne célébrera cet anniversaire que dans une semaine, mais nécessité oblige.

mdavid@ledevoir.com

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