Si Sharon partait...

J'espère que le premier ministre israélien Ariel Sharon sera inculpé sous peu pour corruption et qu'il démissionnera. Je sais que cela dérangerait son parti politique, le Likoud, mais cette formation peut compter sur une nouvelle génération de militants et je suis confiant que ceux-ci finiront par dénicher un nouveau leader.

La «gogauche», tant en Europe qu'en Amérique du Nord, aurait du coup plus de difficulté à renouveler ses tactiques qui lui permettent d'éviter les débats. Il lui faudrait changer la sempiternelle question: «Croyez-vous que toute personne qui est horrifiée de voir les enfants tués par les hélicoptères de Sharon est antisémite?» Non, et je ne connais personne qui tienne de tels propos. Mais j'aimerais bien que les leaders du Bloc québécois et du NPD nous disent s'ils entendent ou voient de temps en temps des slogans antijuifs aux manifs dans les rues et, si oui, s'ils les condamnent.

Le départ de Sharon poserait également des problèmes aux gens dits modérés, ceux qui déplorent toutes les attaques terroristes contre des civils, à l'exception de celles qui tuent des mères et leurs bébés à Jérusalem. Les pays arabes «modérés» seraient également forcés de se trouver un nouveau bouc émissaire, mais je suis confiant qu'ils y arriveraient.

Je n'ai pas souvenir que le président égyptien Hosni Moubarak ait été un grand admirateur d'Israël ni même qu'il ait rendu visite à ses bons voisins qui ont gouverné avant M. Sharon, qu'il s'agisse de Yitzhak Rabin, qui a gagné le prix Nobel de la paix, du faucon Shimon Peres ou d'Éhoud Barak, qui a fait des concessions importantes et en aurait offert davantage si Yasser Arafat avait été prêt à négocier à Camp David en 2000.

Mon problème avec M. Sharon n'est pas personnel; en tête-à-tête, il est très sympathique, tout comme M. Arafat. Toutefois, depuis son élection, en 2001, je ne pense pas que le conflit entre leurs deux peuples ait eu la moindre chance d'être résolu.

Les Israéliens ont choisi Sharon non pas pour qu'il leur apporte la paix mais pour qu'il les défende dans une guerre qu'Arafat avait déclenchée. Et Sharon a connu des succès en dirigeant ses armes contre les kamikazes d'Arafat. Toutefois, chacun de ses gestes, y compris un éventuel retrait unilatéral de la bande de Gaza, est motivé par sa réticence à négocier la seule solution acceptable au conflit: deux pays pour deux peuples.

Pour sa part, même lorsqu'il en a eu la possibilité, comme ce fut le cas à Gaza, Arafat s'est montré peu disposé à accomplir le travail militaire et idéologique nécessaire pour s'assurer que son futur État n'hébergerait pas de terroristes. Tout comme Sharon, Arafat devrait être inculpé pour corruption, mais les Palestiniens ne bénéficient pas d'un système de justice indépendant. Malheureusement, Sharon bluffe quand il menace d'éliminer Arafat: en effet, ce que tous deux craignent par-dessus tout, c'est l'arrivée d'un chef modéré, comme l'ancien premier ministre palestinien Mahmoud Abbas.

Beaucoup de journalistes et d'experts ont prédit que l'invasion de la Cisjordanie en 2002 produirait plus de kamikazes. Aujourd'hui, ces mêmes experts, tout en exprimant de la sympathie pour les victimes israéliennes, écrivent que l'assassinat du cheik Ahmed Yassine, du Hamas, aura le même effet et ne réglera pas le conflit.

Personne ne croit que le fait de tuer le chef spirituel des kamikazes mettra fin aux attaques ou apportera la paix. Toutefois, l'invasion de Sharon a réduit de moitié le nombre des victimes israéliennes en 2003. Et le nouveau chef du Hamas et ses collègues se sont précipités dans les cachettes souterraines tout de suite après l'enterrement de Yassine, démontrant par là qu'ils préfèrent la vie même s'ils choisissent la mort pour les autres.

N'oublions pas que l'ancien président Bill Clinton, diplômé de la très prestigieuse école de droit de l'université Yale, a lui-même essayé d'éliminer Oussama ben Laden — et je crois comme lui qu'un tel geste aurait été tout à fait légal et moral. Une personne qui se préoccuperait vraiment des vies israéliennes (et il y en a très peu parmi les gens qui critiquent Israël) devrait aussi se soucier de l'éventuelle inculpation de M. Arafat pour répondre des crimes contre l'humanité que l'organisme Human Rights Watch lui impute. L'État juif n'applique pas la peine de mort; par conséquent, l'incarcération d'Arafat serait une invitation aux martyrs et aux preneurs d'otages.

Si les experts ont raison et si le raffut éclate après la mort de Yassine, l'élimination de M. Arafat ne pourra pas envenimer davantage la situation. En outre, ce sont les Israéliens qui paieraient le prix du sang et chercheraient vengeance, à la fois contre leurs propres chefs et dans les urnes.

Je ne sais pas si la disparition de M. Arafat assurerait la paix, mais je suis certain que sa survie l'exclut. Les Palestiniens ont beaucoup souffert sous sa gouverne, bien que je doute qu'ils soient prêts à le désavouer aujourd'hui s'il y avait des élections. Mais il n'en reste pas moins ceci: plus il partira rapidement, plus vite on pourra voir apparaître un nouveau leader.

Avec un nouveau chef, on peut espérer qu'une majorité de Palestiniens acceptera de vivre dans un État palestinien à côté d'un État juif. Connaissant le peuple israélien, je suis sûr qu'il élira alors rapidement un nouveau premier ministre qui se consacrera à mettre fin à l'occupation.

Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail.

nspector@globeandmail.ca

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