Prudent «Bye Bye»

Chaque 31 décembre, le petit écran de la SRC retrouve sa suprématie perdue, avant de se distiller sur mille plateformes. Gloire fugitive.

On en demande beaucoup à ces revues de l’année, commentées jusqu’à plus soif. Et peut-être trop : d’écraser les têtes morveuses, de faire rire avec ce qui nous aura fait pleurer, de jouer les bouffons, les justiciers et les psys.

Avant le Bye Bye, Jean-René Dufort impressionne toujours tant il s’est démené. À l’assaut de tous les points chauds au long des mois, à l’accueil de ceux qui ont fait l’événement pour sa spéciale d’Infoman. J’aimais bien l’autoparodie de Mélanie Joly, enfirouapée dans sa novlangue, mais les Québécois ne peuvent plus la voir en peinture. On n’était pas nombreux à la rire, celle-là.

Le bon côté des crus aussi patraques que celui de 2017, c’est que ces revues-là doivent lâcher (un peu) les sempiternelles références télévisuelles pour dérouler le tapis rouge aux enjeux sociaux et politiques. La réalité (teintée de fake news, il est vrai) ayant de façon éclatante détrôné la fiction, à elle les feux de la rampe.

D’ailleurs, les sketches du Bye Bye sur Occupation double, District 31 et autres mensonges du chef Apollo tombaient à plat au contact des politiciens clownesques et des vedettes jetées au fond de la fosse ; stars indétrônables de l’action et du délire.

Reste au téléspectateur à se farcir toutes les pubs intercalées, déguisées en fragments de Bye Bye pour mieux embrouiller les esprits déjà éméchés. Pas grave !

Tout beau et cool, formidablement joué, avec couronnement du tandem Marc Labrèche-Anne Dorval (ah ! les imitations de Kim Jong-un, du couple Donald-Melania et de Céline Dion !), Simon-Olivier Fecteau à sa roue depuis la cuvée précédente garde la classe. Rien à redire là-dessus.

Le pas suspendu

 

N’empêche… abordé de façon consensuelle, ce cru 2017, réflexion faite.

On aura retrouvé Trump accroché à ses tweets et à ses coups de tête, Manon Massé à son matriarcat, Céline à ses falbalas et sacoches, Trudeau à ses pleurs et déguisements ethniques, Valérie Plante à ses rires, La Meute à ses contradictions épaisses et Mélanie Joly à sa langue de bois (sur un gag très hilarant). Les proscrits Rozon et Salvail furent renvoyés brûler en enfer, tandis que Gilbert Sicotte se voyait de nouveau sacrifié sur l’autel de la primeur.

Vous me direz que ces thèmes-là, jalons de la cuvée, s’imposaient. Et puis, la caricature est un genre qui ne se pique pas de nuances. Quand même…

Chaque marionnette du castelet trônait dans le rôle que la rumeur médiatique et publique lui avait déjà attribué. Après avoir nous-mêmes modelé ces cas de figure au fil des mois, ils nous revenaient en pleine poire sur effet boomerang. Sans les zones grises toutefois, sans les « par contre »… susceptibles de troubler l’eau du puits.

On aurait aimé voir brasser la cage en tous sens, là où un seul angle prévalait. Reste que la communauté de l’humour fut particulièrement secouée au Québec ces derniers temps, avec la chute de l’empire Juste pour rire et la remise en cause des « jokes de mononcle ».

Ça se ressentait au Bye Bye : une frilosité, une peur d’aller trop loin. Une rectitude politique compréhensible d’ailleurs, mais en manque de dents. Le pas suspendu…

La société évolue, et bien des humoristes blancs, mâles, assis sur leurs privilèges et leurs rires gras semblaient décollés des enjeux contemporains. La rectitude politique, si conspuée, rime aussi avec évolution collective. Dont acte !

En corollaire, avec le climat du jour, difficile de faire un gag sur le lynchage des bonshommes tombés de leur socle après dénonciations sans procès (à part pour Sicotte, déjà blanchi vox populi). Ou sur les craintes identitaires (réelles) derrière les éructations de La Meute. Les effets pervers de justes causes furent passés sous silence au Bye Bye. L’heure est au réajustement des salves comiques. Peut-être à l’an prochain pour le retour à l’équilibre.

Baroud d’honneur

Dans la France gauloise, ils tombent de plus haut qu’ici, à propos. Là-bas, le débat de fin d’année s’est joué autour de l’éviction de l’humoriste Tex de l’émission de télé Les Z’amours sur France 2. Il avait fait une blague indigne et, dans le contexte des violences masculines aux statistiques nationales affolantes (en 2016, une femme tuée tous les trois jours par son conjoint ou ex-conjoint en douce France) et du mouvement #BalanceTonPorc, proprement inouïe.

— Qu’est-ce qu’on dit à une femme qui a les deux yeux au beurre noir ?

— On ne lui dit plus rien. On le lui a déjà expliqué deux fois.

Humoristes et commentateurs de l’Hexagone sont montés au front pour conspuer son renvoi, tout en prenant soin de condamner la blague. Mais ça tenait presque du baroud d’honneur. Depuis le temps que la chaîne demandait à Tex de lâcher ses jokes de beauf, il était juste allé trop loin. À un moment donné, faut croire que ça suffit !

Et ça, frileux tant qu’on voudra, les artisans du Bye Bye auront du moins eu le flair de l’avoir saisi.

À voir en vidéo