En finir avec la «taxe» Netflix
L’année 2017 a été marquée par les discussions au sujet de la prétendue « taxe Netflix ». Rarement aura-t-on vu débat aussi surréaliste sur des enjeux pourtant bien réels de politique publique. Cette pathétique controverse en dit long sur ce qui tient lieu de réflexions dans les milieux politiques fédéraux à l’égard des défis posés à nos sociétés par les mutations numériques.
Pendant que l’on s’épuise à expliquer qu’il n’est que normal que les taxes payables par le commun des mortels le soient aussi par les acteurs du Net, il se perd un temps précieux. Du temps qu’il aurait fallu consacrer à développer des mesures pour assurer, dans tous les secteurs d’activité, les transformations que commande « l’Internetisation ».
Mais les instances fédérales s’en tiennent à nous regarder subir les régulations imposées par les firmes dominantes d’Internet. Par exemple, le CRTC a passé les deux dernières décennies à prétendre qu’Internet n’avait pas d’effet sur la réalisation des objectifs énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion qu’il a mandat d’appliquer et qu’il n’y avait par conséquent pas lieu de mettre à niveau le cadre réglementaire !
La réalité est plutôt qu’Internet a radicalement transformé les conditions de viabilité des médias et de la plupart de leurs activités. Les processus de création et de diffusion se déroulent de plus en plus suivant les modalités commandées selon les logiques imposées par les plateformes qui dominent le réseau.
Les informations que nous consommons proviennent toujours en grande partie de médias « traditionnels » qui assument seuls les charges associées à la création et à la production de l’information originale. Le modèle de fonctionnement des plateformes en ligne repose sur la vente de publicité fondée sur l’attention générée par les informations produites par d’autres. Ce mode de fonctionnement ne procure pas de conditions de viabilité pour ceux qui créent les contenus, comme les oeuvres originales ou les informations produites selon de hauts standards de rigueur.
Une portion croissante du public s’informe et se divertit en fréquentant des informations qui circulent dans les environnements numériques, comme les réseaux sociaux et les terminaux mobiles. Les médias classiques ne disparaissent pas, mais leur viabilité est fragilisée par la part croissante des revenus publicitaires qu’accaparent les plateformes intermédiaires sur Internet. Alors que des journaux mettent fin à leur édition papier, d’autres tentent de se repositionner afin de répondre aux conditions imposées par les plateformes dominantes. Tous cherchent désespérément à améliorer leur « découvrabilité » dans ce monde policé par des algorithmes au fonctionnement opaque.
Des normes imposées par les grands du Net
Les normes qui régissent désormais la circulation de l’information sont celles appliquées par les plateformes dominantes : les Google, Facebook, Spotify, Netflix ou YouTube.
Les coûts pour diffuser, reprendre, « partager » l’information chutent. Mais la capacité de décider ce qui sera vu est aux mains des processus algorithmiques utilisés par les intermédiaires, plateformes de réseaux sociaux, etc. Par contre, les coûts pour produire la première copie d’information originale demeurent pratiquement les mêmes.
Ces mutations changent non seulement les conditions de consommation et de rentabilité des médias, mais elles induisent de véritables régulations qui supplantent celles émanant des lois étatiques. Désormais, les algorithmes, l’intelligence artificielle et autres traitements massifs de données constituent les véritables générateurs de valeur. Sans un rééquilibrage, ce sont les capacités de produire des contenus informationnels originaux et reflétant la diversité des expressions qui risquent d’y passer.
Il faut sortir du jovialisme et réinventer les cadres régulateurs destinés à assurer la disponibilité de l’information essentielle aux délibérations démocratiques. Les données massives utilisées afin d’extraire de la valeur de l’attention des internautes sont une ressource qui appartient à la collectivité. Le droit d’utiliser de telles ressources collectives doit venir avec des contreparties : celles d’assurer la viabilité des activités de production originales.
À moins de se résoudre à endurer encore plus de dérives, de manipulations et de « fausses nouvelles », il faudra plus qu’un alignement de slogans sur ce qu’on choisit d’appeler une « taxe ». Que 2018 voie l’amorce d’une réelle re-conception des règles qui régissent les activités transformées par le numérique.