Trump le pyromane
Deux caractéristiques sont habituellement associées à l’environnement international sécuritaire contemporain : l’imprévisibilité et la complexité. La première relève d’une lapalissade. La seconde fait référence à un éventail de menaces allant de la guerre interétatique classique aux effets déstabilisateurs de crises économiques ou de catastrophes naturelles, en passant par les tensions intra-étatiques et les groupes terroristes.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser la multitude de crises et de conflits qui défraient la chronique, de l’Afghanistan à la péninsule coréenne, du Yémen à l’Ukraine, de la Syrie à la zone sahélo-saharienne, le niveau de violence dans le monde décroît depuis les années 1990, tant du point de vue du nombre de conflits que de victimes. Cette tendance devrait pouvoir se maintenir. Or, les États-Unis ont à leur tête un président qui se comporte davantage en pyromane qu’en gardien méticuleux de la bonne santé de la scène internationale.
Les causes du déclin des conflits
Cette bonne santé n’empêche pas les crises parfois aiguës. La situation qui prévaut depuis 2014 en Irak et en Syrie sous l’effet des agissements du groupe État islamique ou encore les tensions persistantes en Ukraine constituent des piqûres de rappel particulièrement dures. Pour autant, de tels conflits ne remettent pas en cause les facteurs fondamentaux de la pacification des relations internationales depuis le début des années 1990. Ces facteurs sont au nombre de trois.
Premièrement, l’essor du commerce international a favorisé une croissance économique remarquable qui a permis de sortir de la pauvreté des millions de personnes en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Deuxièmement, bien qu’imparfaites, les organisations et les normes internationales ont poussé au règlement pacifique des différends ainsi qu’à l’implication d’une « communauté internationale » dans la résolution des conflits et le maintien de la paix. Troisièmement, la puissance inégalée des forces armées américaines ne leur a certes pas permis de réussir toutes leurs interventions. Elle a à tout le moins joué un rôle clé pour dissuader d’éventuels adversaires de lancer de vastes hostilités.
Si la scène internationale n’est pas cet univers dangereux et impitoyable que bien des leaders occidentaux se complaisent à décrire et à dénoncer, le président Trump en tête, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le Moyen-Orient restera en 2018 une région à fort niveau d’instabilité où les risques de conflits (directs ou indirects) entre États, spécifiquement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, sont élevés. Bien des États africains — le Mali au premier rang — continueront à voir leurs capacités de gouvernance et de contrôle de leurs territoires s’éroder et seront alors vulnérables aux activités de groupes criminels ou terroristes transfrontaliers.
Le danger provenant de Washington
Dans un tel contexte, l’augmentation du budget de la défense américaine, qui devrait atteindre les 700 milliards de dollars en 2018, est une bonne nouvelle en provenance de Washington. C’est bien la seule. Les États-Unis ont été les principaux artisans et bâtisseurs de l’ordre libéral qui a contribué, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et plus encore depuis la fin de la guerre froide, à une prospérité et une stabilité remarquables de la scène internationale.
Or, les piliers que sont la sécurité collective (incarnée par les institutions internationales comme l’ONU) et l’ouverture des échanges économiques et commerciaux sont grandement fragilisés par la politique étrangère du président Trump. Ouvertement hostile à l’ordre international libéral, l’actuel locataire de la Maison-Blanche semble s’être résolument engagé dans un processus de démantèlement de celui-ci au nom d’un souverainisme et d’un nationalisme exacerbés et symbolisés par son adage « l’Amérique d’abord ».
Si celui-ci pouvait apparaître comme un habile slogan de campagne, il demeurait bien flou quant à la politique étrangère que le gouvernement Trump comptait concrètement mettre en oeuvre. Le discours du président américain devant l’Assemblée générale de l’ONU au mois de septembre avait été une première tentative de clarification. Il a fallu attendre le mois de décembre pour en avoir une articulation plus précise à travers la publication de la stratégie de sécurité nationale du gouvernement Trump.
Si celle-ci n’est pas aussi isolationniste que le laissait entendre « l’Amérique d’abord » (elle reprend même des éléments classiques sur l’engagement et le rôle bienveillant des États-Unis dans le monde), elle n’est guère rassurante. Dans un monde qu’elle perçoit comme profondément hobbesien, avec des vainqueurs et des vaincus, le gouvernement Trump fera tout pour « gagner ». Quitte, comme face à la Corée du Nord, à attiser des braises qu’il serait préférable de ne pas enflammer.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.