Miner la confiance

Remplacer le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) par le directeur général de la Sûreté du Québec (SQ) contribue à miner la confiance de la population envers ces deux corps policiers.

Le rapport de Me Michel Bouchard faisant état des lacunes au sein du SPVM est accablant : parmi ses constats, on retrouve notamment des enquêtes bâclées et des traitements préférentiels en faveur de policiers visés par des allégations criminelles. Ceci aurait contribué à ce que des plaintes visant ces policiers ne soient pas communiquées aux autorités du Directeur des poursuites criminelles et pénales ou du ministère de la Sécurité publique.

Dans la foulée de la divulgation de ce rapport, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a confié à Martin Prud’homme, directeur général de la SQ, la fonction d’administrateur temporaire du SPVM, et ce, jusqu’au 31 décembre 2018. M. Prud’homme a pour mandat d’oeuvrer au redressement du SPVM et, au terme de cette fonction temporaire, il récupérera la direction de la SQ.

Plusieurs ont critiqué cette décision et affirment que la direction par intérim du SPVM aurait dû être confiée à un civil, soulignant une rivalité entre le SPVM et la SQ qui pourrait nuire au climat. D’autres disent qu’il s’agit là d’une mise en tutelle déguisée.

Mais il y a plus.

 

D’abord, confier au patron de la SQ le redressement du SPVM contribue à une centralisation qui freine la capacité d’un corps policier à exercer une surveillance sur l’autre. Notre démocratie possède des mécanismes évitant que nous devenions un État totalitaire. Le propre d’un tel État est de centraliser les pouvoirs afin de limiter les possibilités de remettre en question les activités de l’État. C’est pour contrer ce risque que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont distincts.

C’est dans ce même ordre d’idées que, dans certaines circonstances, on confie à un corps policier indépendant le mandat d’enquêter sur des allégations visant un autre ordre policier. Il arrive ainsi que le SPVM enquête sur la SQ. C’est ce qui est arrivé lorsqu’en 2016, M. Coiteux a confié au SPVM le mandat de se saisir des plaintes de femmes autochtones visant des policiers de la SQ à Val-d’Or. À l’époque, M. Coiteux disait vouloir évacuer « tout possible conflit d’intérêts réel ou apparent » dans le traitement des plaintes. En novembre 2016, l’observatrice civile indépendante chargée d’évaluer l’intégrité des enquêtes du SPVM à l’égard de ces plaintes a d’ailleurs conclu que le SPVM avait mené ses enquêtes de façon intègre et impartiale.

En confiant au chef de la SQ l’affectation temporaire au SPVM, le ministre provoque pour l’avenir l’apparence de conflit d’intérêts qu’il souhaitait éviter par le passé. Il ne s’agit pas de mettre en doute l’intégrité personnelle de M. Prud’homme. Il est plutôt question de l’incompatibilité entre les fonctions de chef de la SQ et de chef du SPVM. Sachant que dans un an M. Prud’homme récupérera la direction de la SQ, pourra-t-il décider que le SPVM enquêtera à nouveau sur la SQ ? Non. Depuis mercredi, la faculté du SPVM d’exercer quelque surveillance sur la SQ est paralysée.

Ce n’est pas tout. Alors que le rapport Bouchard fait état de pratiques au sein du SPVM remettant en cause son intégrité, plus particulièrement en ce qui concerne les plaintes visant ses membres, la population est en droit de s’attendre à ce que les individus et entités responsables d’apporter les correctifs nécessaires aient, en réalité et en apparence, la probité qui incombe à cette responsabilité. Or les allégations qui visent la SQ, dont M. Prud’homme est le directeur depuis trois ans, quant à ses relations avec les autochtones disqualifient ce corps policier.

À ce jour, le mystère règne quant aux phénomènes systémiques expliquant le fléau des femmes et filles autochtones assassinées et disparues. De plus, des policiers de la SQ ont fait l’objet d’allégations graves concernant des sévices sexuels, des abus de pouvoir et de l’intimidation à l’endroit de femmes autochtones. La commission Viens sur les relations entre les autochtones et certains services publics et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées feront état de constats susceptibles de soulever des irrégularités dans le fonctionnement de la SQ. Il est possible que les conclusions des deux commissions d’enquête s’apparentent à celles du rapport Bouchard en ce qui a trait à l’impunité des policiers. Ainsi, la population peut avoir des craintes raisonnables que le chef de la SQ ne puisse mener le redressement dont on lui a confié la responsabilité.

Aujourd’hui, une femme autochtone est-elle susceptible d’avoir une plus grande confiance envers le SPVM maintenant dirigé par le chef de… la SQ ? Non.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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