Les revenus de l’information

La fermeture de plusieurs journaux annoncée la semaine dernière n’est que le plus récent chapitre de la reconfiguration du paysage médiatique. Les mesures annoncées par la ministre québécoise de la Culture afin d’aider les médias à réussir leur transformation vers le numérique sont un pas dans la bonne direction. Mais elles ne font rien pour ramener vers les médias d’information les revenus désormais captés par les plateformes comme Facebook et Google. C’est l’érosion accélérée de la base de financement des médias qui créent et publient des contenus originaux qu’il importe d’arrêter.

Les informations qui circulent en ligne sont valorisées non plus en fonction de leur capacité à générer des auditoires, mais plutôt en fonction de ce qui accroche l’attention des internautes. Le système médiatique génère désormais des revenus par l’attention des consommateurs plutôt que par la satisfaction des besoins des citoyens.

Les médias « traditionnels » dépensent et investissent pour produire l’information alors que les revenus sont captés par les plateformes en ligne sur lesquelles le public « partage » les contenus. Les plateformes perçoivent les revenus publicitaires alors que les médias, pourtant à la source de ces contenus, reçoivent une part dérisoire. Le démantèlement de l’environnement médiatique résultant de la place prise par les intermédiaires d’Internet requiert une mise à niveau du cadre juridique des médias numériques.

Car dans ce merveilleux monde en réseau, les nouvelles, les enquêtes journalistiques, les analyses et les autres informations demeurent produites par les médias dits traditionnels. Ce qui est « partagé » dans les plateformes des réseaux sociaux provient en grande majorité de ces médias traditionnels. Les journalistes de ces médias, de moins en moins nombreux, continuent pour l’heure de produire des nouvelles, des enquêtes et des analyses. Ces informations demeurent prisées par le public. Mais elles sont de plus en plus consommées sur les plateformes qui, elles, engrangent les revenus publicitaires désormais encaissés en fonction de l’attention que les internautes attachent aux parcelles de contenu sans avoir à les financer.

Or, les « consommateurs » sont aussi des citoyens. Ils ont le droit d’exiger que les revenus produits par leur attention soient canalisés de manière à assurer la disponibilité d’information libre et produite selon une pluralité de perspectives.

Les décideurs publics ne peuvent se limiter à regarder béatement le transfert vers les plateformes intermédiaires d’Internet des revenus qui assuraient la production des informations. L’émiettement de la base financière des médias découlant des transformations numériques requiert des politiques qui assureront la viabilité des capacités d’informer de façon indépendante et rigoureuse sur les enjeux auxquels nos sociétés sont confrontées.

Devant les transformations radicales dans la façon dont les médias sont consommés, des politiques publiques doivent garantir la base financière des acteurs qui produisent de l’information originale. Il faut assurer une répartition équitable des revenus entre les médias producteurs de contenu éditorial et les plateformes intermédiaires par lesquelles transitent de plus en plus les revenus publicitaires.

Lorsqu’on constate que l’environnement technique et ses régulations par défaut ne répartissent pas les ressources selon les besoins d’une information libre et fondée sur des méthodes offrant des garanties de rigueur, les politiques publiques doivent rétablir l’équilibre. À moins d’affirmer que les citoyens n’ont que faire des informations de qualité, il faut reconnaître que le fonctionnement des environnements numériques génère des distorsions dans l’allocation des ressources. Il est irresponsable de s’en tenir à qualifier les modèles de fonctionnement des médias de « désuets ».

La régulation étatique doit assurer la recanalisation des dépenses que les Canadiens consacrent à s’informer vers la production de contenus originaux. Du fait de la numérisation, une part croissante de ces dépenses va dorénavant aux plateformes en ligne qui commercialisent l’attention des internautes auprès des acteurs du marché publicitaire. Les équilibres de nos sociétés démocratiques sont tributaires de la disponibilité d’information de qualité. À défaut d’encadrer les mutations qui érodent les bases de revenus des médias, les « fausses nouvelles » et autres effets pervers n’ont pas fini de se faire sentir.

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