De Parizeau à Leitão
Dans les annales des relations fédérales-provinciales canadiennes, un épisode particulièrement savoureux est la « querelle de la taxe de vente », qui avait opposé Jacques Parizeau, alors ministre des Finances dans le cabinet de René Lévesque, à son vis-à-vis fédéral, Jean Chrétien, au printemps 1978.
Dans le budget qu’il avait présenté à la Chambre des communes le 10 avril, M. Chrétien, désireux de stimuler l’économie canadienne, avait annoncé une diminution de 3 % de la taxe de vente provinciale pendant une période de six mois. M. Lévesque avait aussitôt dénoncé un « viol éhonté du respect des compétences » des provinces, qui coûterait 340 millions au Québec. Même si Ottawa offrait de rembourser les deux tiers de cette perte, il n’était pas question d’accepter ça « en chien couchant ».
M. Parizeau avait répliqué en annonçant plutôt l’élimination complète de la taxe pendant un an, mais seulement pour les secteurs dits « mous » de l’économie québécoise : textile, vêtement, chaussure, meuble. Après des semaines de guérilla fiscale et politique, Ottawa avait finalement décidé de rembourser directement les contribuables québécois en leur expédiant un chèque de 85 $, mais Québec avait remporté la bataille de l’opinion publique.
La querelle déclenchée par la décision fédérale de ne pas étendre la TPS à Netflix n’est pas sans rappeler cet épisode. Faute d’avoir pu convaincre Ottawa de se raviser, Carlos Leitão a indiqué non seulement que la TVQ sera imposée à Netflix et à tous les autres fournisseurs étrangers de biens et services en ligne dès 2018, mais aussi que Québec collectera la TPS, comme l’y oblige selon lui l’entente d’harmonisation intervenue en 2011. Le montant recueilli sera transféré à Ottawa, qui devra décider quoi en faire. Où qu’il soit, M. Parizeau a dû apprécier en connaisseur la manoeuvre de son lointain successeur.
En 1978, la démarche de M. Parizeau avait été appuyée par tous les partis représentés à l’Assemblée nationale. En année électorale, applaudir à un bon coup du gouvernement est cependant beaucoup demander aux partis d’opposition.
Disant vouloir répondre à la préoccupation de Justin Trudeau, qui ne veut pas alourdir le fardeau de la « classe moyenne », le PQ propose plutôt que la TVQ et la TPS soient diminuées en proportion des revenus que rapportera l’imposition des fournisseurs étrangers, de manière à ce que l’opération se fasse à coût nul. M. Leitão a immédiatement rejeté cette proposition et indiquera dans sa prochaine mise à jour comment il compte alléger le fardeau des contribuables.
Comment le gouvernement fédéral s’y prendrait-il pour rembourser la TPS aux utilisateurs de services en ligne ? M. Morneau leur enverra-t-il un chèque comme l’avait fait M. Chrétien ? Contrairement à ce que prétend M. Leitão, son bureau nie que le Québec ait l’obligation de la collecter. Une taxe n’entraînerait pas nécessairement l’autre. Bref, six ans après l’entrée en vigueur de l’entente d’harmonisation, on ne s’entend pas sur sa signification.
Sans grande surprise, la CAQ s’est empressée de renchérir. Un gouvernement Legault pourrait éliminer la TVQ sur certaines catégories de produits, qu’ils soient vendus en ligne ou dans des commerces. Dans le cas des produits assujettis à la TPS, faudrait-il la collecter pour M. Morneau ? François Legault s’en ferait sans doute un plaisir, lui qui veut conclure une entente avec Ottawa pour qu’il y ait une seule déclaration de revenus.
Libéraux et péquistes ont aussitôt dénoncé la proposition caquiste, que M. Leitão a assimilée à de l’évitement fiscal. « Où on finit, une fois qu’on commence dans cette direction-là ? » a-t-il demandé. Bonne question. Exempter des secteurs plus vulnérables de l’économie québécoise, comme l’avait fait M. Parizeau, peut être une bonne idée, mais comment justifier d’offrir une telle faveur aux fournisseurs étrangers ?
À l’approche des élections, la tentation sera forte de promettre mer et monde au contribuable, au risque de compromettre la capacité d’intervention de l’État. Pour le moment, l’économie se porte bien, de sorte que les revenus du gouvernement augmentent, mais personne ne peut dire combien de temps cela durera. Une chose est cependant certaine : tôt ou tard, une récession viendra tarir la source alors que l’État aura besoin d’argent pour limiter les dégâts.
Le PQ fait le pari politiquement risqué, mais tout à fait responsable, de ne pas promettre de baisse d’impôt. Les surplus devraient plutôt être réinvestis dans les services, au premier chef dans la santé et dans l’éducation, qui ont fait les frais de l’austérité, estime-t-il. Québec solidaire est aussi de cet avis.
C’est le risque d’une surenchère entre le PLQ et la CAQ qui inquiète. La fenêtre est présentement ouverte pour François Legault, qui sait très bien qu’une aussi belle occasion ne se représentera peut-être pas. Les libéraux auront beau dénoncer l’irresponsabilité de ses promesses, ils ne voudront pas être en reste. De l’expérience de M. Parizeau, M. Leitão devrait cependant retenir à quel point la vie d’un ministre des Finances peut devenir pénible quand le taux de chômage et les taux d’intérêt explosent en même temps.