La saine alimentation, un droit
L’alimentation pour tous, cela devrait être une évidence, un droit. Le droit de se nourrir sainement, facilement, équitablement. On parle ici d’aliments de base pour assurer au quotidien le fonctionnement vital d’un individu. Que celui-ci soit jeune, adulte ou aîné. Est-ce que le Sommet sur l’alimentation, qui se tiendra le 17 novembre prochain à Québec, abordera cet enjeu crucial, générationnel et populationnel ?
Après trois rencontres préparatoires, une en 2016 consacrée aux consommateurs, deux en 2017 consacrées aux transformateurs et aux agriculteurs et pêcheurs, ce sommet doit enclencher la future politique bioalimentaire québécoise prévue au printemps 2018.

« Un sommet qui n’en sera pas un », m’interrompt tout de suite Frédéric Paré, coordonnateur général du Regroupement des cuisines collectives du Québec (RCCQ), qui a assisté aux deux premières rencontres. « Car nous savons déjà que ce qui est sur les planches à dessin du ministre, c’est une politique bioalimentaire destinée aux opérateurs économiques. On interroge les consommateurs, on les entend, puis on se tourne vers ceux qui produisent, transforment, transportent ou vendent nos aliments en leur disant : vous voyez, c’est ça que les consommateurs veulent ! »
« Il ne suffit pas de demander aux consommateurs ce qu’ils veulent dans leur assiette et de relayer ces demandes auprès du marché. Le gouvernement du Québec doit mettre son tablier. »
Marteler le message
Le RCCQ sera tout de même présent à la table ronde pour ressasser le même message, celui du droit à une saine alimentation. « Notre intention est de marteler le message que l’alimentation est un droit et que, bien que le ministère québécois de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation soit à vocation économique, l’alimentation est une question orpheline d’une véritable responsabilité d’État au Québec. »
« Il n’y a aucun gouvernement qui s’occupe de l’alimentation. Il y a un ministère qui s’occupe des aliments, mais pas de l’alimentation. »
Pourtant, ce droit existe. Dans le cadre de son premier symposium Montréal cuisine !, organisé le 2 novembre dernier conjointement avec le Réseau des cuisines collectives de Montréal (un réseau de réflexion encore informel), le Regroupement des cuisines collectives du Québec a convié tout au long de cette journée de rencontres et d’échanges plusieurs spécialistes extrêmement intéressants, qui ont abordé chacun à leur manière le sujet du droit à l’alimentation. Parmi ces spécialistes se trouvait Lucie Lamarche, juriste et professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal. Cette dernière a expliqué que ce droit existe sur le plan international, mais qu’il n’est pas « vivant » chez nous, à savoir qu’il n’est pas interprété dans nos chartes des droits et libertés — ni celle du Québec ni celle du Canada.

Les États ayant signé le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) — dans lequel figure le droit à l’alimentation — s’engagent à respecter, à promouvoir et à garantir les droits mentionnés dans ce traité international.
Le Canada l’a signé en 1976. Un État qui prend vraiment cet enjeu au sérieux aurait dû, depuis le temps, enchâsser ce droit dans sa propre constitution, dans certaines de ses lois ou dans des documents officiels fondamentaux, comme la Charte canadienne des droits et libertés. « Nous en sommes restés au niveau des principes et nous avons abandonné la question du droit à l’alimentation au marché », résume Frédéric Paré.
La faim, un enjeu politique
La suite économique, on la connaît. Des marchés qui s’emballent, la logique productiviste qui pousse à faire toujours plus sans se préoccuper du revenu des individus. Or les gens n’ont plus, ou ont de moins en moins, les moyens de se payer cette croissance qui poursuit sa course folle et va droit dans le mur.
« Aujourd’hui, la faim ne vient pas d’un problème de production ou de productivité, ce n’est ni un enjeu agronomique ni un enjeu technique, c’est un enjeu politique », confirme le coordonnateur général du RCCQ. Et vu que nous avons collectivement décidé que nous n’allions pas réguler le prix des denrées, ce sont les marchés qui s’en occupent…
On ne parle pas ici du prix des croustilles au ketchup ou du soda au goût de lime. On parle de produits de base. Comme le rappelle Jean-Paul Faniel, coordonnateur de la Table de concertation sur la faim et le développement social du Montréal métropolitain, il suffirait de soutenir, d’encadrer et de protéger des fluctuations du marché une quarantaine de produits : pain, viande, fruits, légumes, farine, sucre… Sur environ 25 000 produits disponibles dans un supermarché, ce n’est pas grand-chose !
« Le modèle de production grande-surface-grande-production est au bout du rouleau. Cela nous revient en pleine face après 40 à 50 ans. On a atteint des limites. Les prix vont donc continuer à augmenter, car l’équilibre est ténu entre l’offre et la demande. »
« Quand on choisit de ne pas réguler, cela fait des marchés tendus, volatils, nerveux. Jean Ziegler, sociologue et ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, répète souvent qu’en démocratie, il n’y a pas de fatalité. Ce qui nous arrive là est donc le résultat d’une absence de choix », conclut Frédéric Paré.
Pour aller plus loin
Prendre connaissance de la Déclaration pour le droit à une saine alimentation au Québec récemment adoptée par le Regroupement des cuisines collectives du Québec. Lire à ce propos mon article dans le cahier spécial du Devoir « Regards sur l’alimentation ».
Lire Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai, du Dr Anthony Fardet, aux Éditions Thierry Souccar.
Revoir le film documentaire The Corporation (2003) de Jennifer Abbott et Mark Achbar.