Une bataille gagnée, une guerre à remporter
La chute, en début de semaine, de Raqqa, capitale autoproclamée du groupe État islamique (EI) en Syrie, porte un rude coup à l’organisation terroriste. Donald Trump aurait tout intérêt à insister sur cette bataille remportée de haute lutte pour se sortir des polémiques dans lesquelles il aime à s’empêtrer.
Son gouvernement serait surtout bien inspiré d’exposer rapidement une ambition pour le Moyen-Orient qui ne se résume pas à la guerre contre le groupe EI ni à une aversion vis-à-vis de l’Iran. Cela ne semble toutefois pas devoir être le cas, et le président Trump s’apprête à reproduire la même erreur que ses deux prédécesseurs.
Une lutte de longue haleine
Après un été 2014 qui avait vu le groupe EI conquérir à une vitesse foudroyante de larges portions des territoires syrien et irakien (au point, dans ce dernier cas, de menacer la capitale Bagdad), multiplier les exactions contre les populations locales (en particulier les yézidis) et les exécutions spectaculaires (notamment celle du journaliste américain James Foley), le président Obama décidait d’une opération militaire dont l’objectif était « d’affaiblir et ultimement détruire » le groupe EI.
Il était acquis que cette campagne prendrait du temps, les généraux américains estimant d’emblée, et finalement avec une justesse certaine, qu’elle prendrait au moins trois ans. Le président Obama, conscient du traumatisme lié aux aventures en Irak et en Afghanistan décidées par son prédécesseur, privilégiait une participation limitée des soldats américains. Ceux-ci ne seraient pas déployés par dizaines de milliers sur le théâtre d’opérations.
L’engagement des États-Unis au sein de ce qu’il convenait de qualifier de « coalition » se traduisit par l’appui à des alliés locaux (les Kurdes essentiellement) menant des combats au sol et par un pilonnage aérien des troupes et infrastructures du groupe EI. Pendant sa campagne électorale, Trump dénonça certes le manque supposé de détermination de Barack Obama et l’incompétence des généraux, promettant, s’il était élu à la Maison-Blanche, de s’attaquer au problème avec vigueur.
S’il est vrai qu’il a pu contribuer à une accélération du rythme des opérations en octroyant une plus grande latitude aux responsables militaires, l’approche ne dérogea pas de celle lancée par Barack Obama. La mise en déroute du groupe EI et la perte des territoires qu’il contrôlait en Syrie et en Irak consacrent le succès de cette stratégie d’engagement limité, ou en retrait, adoptée par les États-Unis depuis 2011 et l’intervention en Libye.
Elle n’est, en revanche, en rien garante d’une victoire définitive contre le groupe EI, encore moins contre l’islamisme radical, ni d’une stabilisation plus ou moins durable de la Syrie et de l’Irak.
L’introuvable objectif politique
En l’espèce, s’il y a largement eu continuité entre Obama et Trump dans la stratégie militaire contre le groupe EI, il y a une absence similaire de réflexion sur l’avenir de cette région du Moyen-Orient. Cette incapacité à penser la finalité politique du recours à la force armée n’est pas propre à ces deux locataires de la Maison-Blanche. Elle s’inscrit profondément dans la culture stratégique américaine.
En outre, les États-Unis ne sont pas les seuls à se montrer incapables (ou désintéressés) à esquisser un grand dessein pour le Moyen-Orient. Il en va de même pour leurs alliés occidentaux — parmi lesquels le Canada — qui ont pris part à la « coalition » contre le groupe EI.
De même qu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire, remporter des batailles sans avoir d’objectif politique clair condamne à revivre le supplice de Sisyphe. Tout comme contre al-Qaïda, les victoires militaires contre le groupe EI ne signifient pas la fin de la guerre contre l’islamisme radical. Ces groupes peuvent muter et resurgir, d’autres peuvent prendre la relève tant les facteurs propices à leur émergence restent présents au Moyen-Orient.
En Syrie, la guerre civile est loin d’être achevée. En Irak, les tensions entre communautés sunnites et chiites ont certes été mises en sourdine depuis l’arrivée du premier ministre Abadi, elles n’ont pas pour autant disparu. Et alors même qu’il reste quelques poches de résistance du groupe EI dans le pays, les frictions entre le gouvernement central de Bagdad et des Kurdes aspirant à une plus grande autonomie, pour ne pas dire indépendance, pourraient dégénérer en un conflit ouvert.
Que devraient alors faire les États-Unis et leurs alliés ? Face aux rivalités entre puissances régionales (l’Arabie saoudite et l’Iran), il serait d’abord judicieux de ne pas désigner un seul adversaire et de ne pas prendre fait et cause pour une partie.
Afin d’éteindre toute reprise du groupe EI, d’al-Qaïda ou autre, il convient ensuite de maintenir une attention et des moyens militaires. Enfin, il faudrait envisager d’organiser une « conférence de Yalta » pour repenser le Moyen-Orient dans son ensemble. Sans cela, la victoire de Raqqa, comme celle de Mossoul, n’aura guère de sens.