Frontière et effectivité des lois

L’été 2017 aura procuré de belles occasions de réfléchir à la notion de frontière. La frontière est une ligne : elle délimite l’espace dans lequel prévaut une règle plutôt qu’une autre. À l’intérieur de la frontière canadienne s’applique la loi canadienne, tandis qu’à l’extérieur, les lois d’un autre État prévalent. Mais la ligne est loin d’être étanche.

Durant plusieurs semaines, des milliers de personnes se sont présentées aux frontières, la plupart réclamant le statut de réfugié. Il n’en fallait pas plus pour que certains s’interrogent sur ces transgressions de la frontière.

Bien sûr, la frontière marque une limite. Mais elle doit s’accommoder des actions destinées à garantir l’effectivité des lois et des droits des personnes. Les conventions internationales auxquelles le Canada est partie garantissent à ceux qui se présentent à la frontière le droit de faire valoir, devant une instance indépendante, les raisons qui les qualifieraient comme réfugiés.

Dans un tout autre registre, fin juin, la Cour suprême rendait une décision confirmant que les tribunaux canadiens peuvent prendre des ordonnances même à l’égard d’activités se déroulant en dehors du territoire canadien. Il était alors question d’une ordonnance enjoignant à Google de supprimer de ses résultats de recherche les liens conduisant à des sites qui ont été jugés comme contrevenant à la loi canadienne.

Voilà deux situations fort différentes qui illustrent le sens et la portée de la frontière à l’époque actuelle. Dans un cas, la frontière est transgressée afin d’assurer l’effectivité des conventions protégeant les réfugiés. Dans l’autre cas, l’effectivité de la loi canadienne peut nécessiter qu’elle s’applique au-delà des frontières.

L’effectivité des droits

La frontière n’a pas le caractère absolu que certains voudraient y voir. Son existence ne fait pas disparaître les obligations de respecter les droits fondamentaux. Certes, le droit de demeurer sur le territoire d’un État est conditionné par les lois de celui-ci de même que les conventions internationales. Mais dès lors que ces mêmes lois reconnaissent aux demandeurs d’asile qui se présentent à la frontière le droit d’être entendus, cela peut nécessiter de transgresser la frontière. Les demandeurs d’asile ont le droit de faire valoir leurs arguments et d’exposer leur situation devant un juge disposant de l’autorité pour décider de façon indépendante si la personne est dans la situation donnant ouverture au statut de réfugié.

L’impératif d’effectivité des lois nationales explique le caractère relatif de la frontière. Ce caractère relatif joue dans le sens d’une restriction de la faculté d’un État de refuser l’entrée sur son territoire. Il joue également dans le sens d’une extension de l’autorité des lois d’un État au-delà de son territoire.

Un État peut en effet estimer que le risque de rendre insignifiantes les mesures tendant à garantir le respect de ses lois justifie d’imposer un interdit bien au-delà de la frontière territoriale. Dans sa décision de juin dernier, la Cour suprême a reconnu qu’une ordonnance visant à forcer Google à supprimer des liens hypertextes menant à des contenus contrevenant aux lois canadiennes peut avoir effet à la grandeur de la planète.

En cette époque où les distances perdent leur propriété d’isoler, la frontière demeure un repère signalant l’espace physique dans lequel s’appliquent les lois d’un État. Mais les lois d’un État de même que les obligations qu’elles imposent peuvent impliquer des devoirs à l’égard de ceux qui traversent la frontière, voire qui se trouvent hors de la ligne qu’elle trace. Dans le cyberespace, ces lois peuvent se trouver en concurrence avec celles d’autres pays, voire d’entreprises multinationales. L’effectivité des lois nationales peut nécessiter leur application en dehors du territoire.

Une limite relative

 

Pour que soit effectif un droit reconnu par les lois, il peut être nécessaire de franchir la frontière. Une fois qu’une personne est sur le territoire, il incombe à l’État de mettre en oeuvre ce qui est nécessaire pour déterminer si elle répond aux conditions du statut qu’elle revendique.

De la même façon, lorsqu’une entreprise contrôlée de l’étranger se livre à une activité qui contrevient aux lois canadiennes, les autorités ont la possibilité d’ordonner que cessent les pratiques illégales même au-delà de la frontière territoriale. Dans l’une et l’autre de ces situations, le repère que constitue la frontière revêt un caractère relatif.

Dans un monde caractérisé par le rétrécissement des espaces physiques et l’existence de l’espace virtuel, le cyberespace, il n’est plus possible de considérer les frontières territoriales comme des lignes absolues : celles-ci doivent s’accommoder de l’impératif d’efficacité des lois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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