Solitude catalane
Le 11 septembre, c’est aussi la fête nationale catalane, qui se déroule cette année dans un contexte de division et d’affrontement.
La Diada se déroule à trois semaines d’un hypothétique référendum sur l’indépendance de la Catalogne, dans une célébration assez éloignée de la « grande fête de l’unité » qu’elle voudrait être. À défaut, le rendez-vous dans la rue donnera aujourd’hui la mesure du degré de mobilisation des nationalistes catalans.
Une collision frontale se dessine entre Madrid et Barcelone, alors même que le peuple catalan, divisé à peu près à 50-50 sur le fond de la question, vit lui-même des déchirements internes.
« Pourquoi les Québécois et les Écossais ont-ils pu voter, alors qu’on l’interdit aujourd’hui aux Catalans ? »
À cette question légitime, que répètent aujourd’hui les trois quarts des habitants de la Catalogne, les intransigeants de l’unité espagnole répliquent :
–Parce que !…
–Parce que quoi ? demanderez-vous peut-être.
–Parce que c’est l’Espagne !
–Mais encore ?
–Parce que c’est illégal et anticonstitutionnel.
Fin de la discussion.
Le défi national catalan couve depuis maintenant sept ans. La bougie d’allumage, en 2010 – alors que l’indépendantisme croupissait dans les 15 % d’appuis –, avait été le choc de l’abrogation, par le Tribunal constitutionnel de Madrid, d’éléments clés d’un nouveau Statut d’autonomie adopté en 2007.
Dans le préambule, on décrivait notamment la Catalogne comme une « nation ». Mais la droite centralisatrice et postfranquiste, indignée par cette inscription, avait obtenu qu’elle soit biffée. La réaction fut immédiate : une montée fulgurante de l’indépendantisme, qu’on a pu mesurer d’une élection à l’autre et d’une Diada à l’autre, avec des centaines de milliers de personnes dans la rue et l’option indépendantiste proche du seuil des 50 %.
Le point culminant de cette montée – ou son Waterloo – est le vote du 1er octobre prochain, date décidée unilatéralement par Barcelone devant le refus complet du gouvernement central de discuter.
À Madrid, dans les milieux politiques et médiatiques – et on ne parle pas des réseaux sociaux, aujourd’hui déchaînés contre la « racaille catalane » –, on décrit régulièrement les indépendantistes catalans comme des fous, des fanatiques, voire des criminels. Dans les citations du premier ministre Mariano Rajoy sur le sujet, on retrouve les expressions suivantes : « délire », « agression », « bravade », « dérive dictatoriale », « coup d’État »… mais rarement d’appels au dialogue – hormis l’appel à la reddition.
Sur le fond, Madrid peut certes invoquer la légalité et la constitution (« l’Espagne indissolublement unie »), en ajoutant que les indépendantistes de Barcelone n’ont aucun appui international – ce qui, malheureusement pour eux, est la stricte vérité en 2017.
Hormis la solidarité de certains milieux culturels et intellectuels à l’étranger, hormis les discussions comme celles entendues ce week-end dans les corridors du congrès du PQ, il n’y a pas un pays, pas un gouvernement de l’Union européenne – pas même le Royaume-Uni, qui avait pourtant laissé voter les Écossais en 2014 – ayant déclaré son appui au droit à l’autodétermination de la Catalogne. Le gouvernement régional écossais, officiellement indépendantiste, est d’une prudence extrême sur le sujet.
À Madrid, une tempête judiciaire, médiatique, politique et même physique se prépare contre Barcelone. On parle d’intimidation contre la police, les municipalités et les écoles voulant coopérer avec l’organisation référendaire, ou encore de saisie forcée des urnes et des bulletins…
Face aux recours à répétition devant les tribunaux, face aux interdictions et aux menaces, les autorités de Barcelone ont décidé de faire vite, d’assumer ouvertement leur démarche de désobéissance. Le dos au mur, ils ont foncé avec un débat éclair au Parlement régional – vertement dénoncé par l’opposition – suivi d’une campagne référendaire de trois semaines. Par les pressions, les dénonciations constantes, le tsunami d’injonctions et de jugements de cour, le gouvernement central a tenté de pousser les dirigeants catalans à la faute…
Mais la faute, ce serait aussi la brutalité d’un État démocratique moderne qui empêche physiquement des gens de mettre un bulletin dans l’urne.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.