Renégociation à sens unique

Vouloir moderniser un accord commercial vieux de 23 ans va de soi. Mais alors que l’iniquité de l’ALENA maintes fois dénoncée par Donald Trump reste à démontrer, de nouveaux enjeux sont apparus, rendant ardue toute quête de réciprocité dans la renégociation qui s’amorce. Exception culturelle et propriété intellectuelle pourraient pâtir de la fluidité et de l’intangibilité de la numérisation de l’économie et du commerce électronique.

Washington en a fait sa priorité. Règles d’origine, mécanisme de règlement des différends et propriété intellectuelle arrivent en tête de liste des objectifs du gouvernement américain. S’ajoute une nouvelle offensive contre le système de gestion de l’offre et la libéralisation du commerce électronique. Il semble que tout accord doit être mutuellement bénéfique pour les parties impliquées. Or quand tout n’est que marchandise aux yeux des Américains, comment négocier la réciprocité avec les eBay, Amazon, Google, Facebook et Netflix de ce monde, qui n’existaient pas il y a 23 ans ?

Le milieu concerné s’inquiète pour la clause d’exception culturelle. Celui des télécommunications, pour la protection de la propriété intellectuelle. Derrière son engagement réitéré à refuser tout compromis, Philippe Couillard n’a pu s’empêcher d’émettre de vives inquiétudes quant à la protection de l’exception culturelle en ligne.

Dans le ROC aussi

 

Et ce n’est pas qu’une préoccupation québécoise. Le Conseil des Canadiens exhortait mercredi Ottawa à ne pas sous-estimer les menaces que sont devenus Netflix, les géants de l’Internet et des jeux vidéo pour l’industrie culturelle canadienne, pour sa capacité à produire, à financer et à diffuser tant localement qu’à l’international, et pour la diversité de son contenu national. Quand tout n’est plus que commerce, même un pays signataire de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles peut difficilement mettre du poids à son argumentaire.

Avant eux, les producteurs agricoles avaient eu droit à leur mauvaise expérience dans la foulée des négociations du Partenariat transpacifique et de l’AECG. Ils l’ont rappelé cette semaine, lorsque les premiers ministres du Québec et du Canada ont réitéré leur volonté de défendre bec et ongles la gestion de l’offre. « Dans les deux cas, le gouvernement conservateur nous disait qu’il n’avait fait aucune concession dans les secteurs sous gestion de l’offre, et dans les deux cas nous avons eu des surprises quand les documents ont été rendus publics », a souligné le porte-parole de l’UPA, Patrice Juneau. On peut très bien imaginer que le PTP et l’AECG serviront de trame à la renégociation qui s’amorce.


 

Exemple d’une iniquité à démontrer, emprunté au monde de l’automobile si cher à Donald Trump. Un retrait des États-Unis de l’ALENA et une possible taxe aux frontières pourraient entraîner jusqu’à 50 000 pertes d’emplois dans l’industrie automobile américaine, conclut une étude du cabinet Boston Consulting Group publiée mercredi. Aussi, les prix des voitures neuves aux États-Unis pourraient augmenter en moyenne de 1100 $US par véhicule, lit-on dans cette étude commandée par le lobby des équipementiers automobiles.

Et cet autre exemple contredisant les dénonciations de Donald Trump, emprunté cette fois au secteur agricole. Dans une dépêche de l’Agence France-Presse publiée à la fin d’avril, les agriculteurs américains se sont lancés à la défense de l’ALENA, les marchés canadien et mexicain étant respectivement leurs deuxième et troisième clients derrière la Chine, faisaient-ils valoir. Depuis l’entrée en vigueur en 1994 de cet accord, les ventes de produits agricoles et agroalimentaires vers ces deux destinations ont progressé beaucoup plus vite qu’avec le reste du monde : elles ont presque quadruplé vers le Canada et ont été multipliées par cinq vers le Mexique.

En 2016, plus de 20,5 milliards de dollars de produits agricoles et agroalimentaires américains ont pris la direction du Canada, soit 15 % des exportations américaines totales. En tête des produits achetés par le Canada, les aliments transformés, suivis par les légumes et les fruits. Pour sa part, le Mexique a acheté au total pour 17,9 milliards de dollars aux fermiers américains, soit 13 % de leurs exportations, essentiellement auprès des producteurs laitiers et de maïs, était-il écrit.

Parle-t-on d’une renégociation de bonne foi ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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