Chaud devant

Céline peut aller se rhabiller en Gucci, finalement. Circulez, y’a rien à voir. Par contre, 2,5 milliards de clics pour dévorer des yeux une déesse caribéenne, ex-Miss Univers, qui ondule des courbes sur le tube de l’été, Despacito, « ça le fait » comme disent les cousins.

La chanson a propulsé cette semaine Luis Fonsi et Daddy Yankee au sommet de Spotify, une première pour des Latinos. Le vidéoclip, lui, tangue entre la « porno soft » et le telenovela sud-américain, sur rythmes tribaux issus du reggeaton dont la danse mime intentionnellement la copulation. Du 14 ans et plus bon pour les cours de zumba sur la plage d’un tout-compris.

Photo: Photo tirée de la vidéo «Despacito» Le chanteur Fonsi lance sa plainte portée par l’écume du désir: «Yo no tengo prisa, yo me quiero dar el viaje.» Je ne suis pas pressé, ce qui importe, c'est faire le voyage.

Quant aux propos, ils sont la plupart du temps qualifiés de « machistes ». C’est le genre de musique pas tout à fait « explicite » que mon ado écoute sans écouter vraiment ce qui se dit, mais en y puisant l’énergie de la rébellion.

Et pour l’énergie, il y en a beaucoup dans Despacito. L’énergie du yang qui cherche son yin même s’il le fait « tout doucement », le sens de despacito (ito étant le diminutif qui adoucit les angles, comme dans amorsito). Pas besoin de parler deux mots d’espagnol pour comprendre où le latin lover veut en venir.

Une statue de la Vierge apparaît après dix secondes, avec la « putain » au loin, le sillon mammaire serti d’une croix en or. Priez pour eux, Seigneur. Devant la mer houleuse et l’écume indomptable de ses pulsions, Fonsi lance sa plainte sur quelques accords de guitare sensuels. « Ay ! Oh no. Oh no. Hey yeah ! » Jusqu’ici, tout le monde comprend que le gars a déjà abdiqué dans toutes les langues ou que sa braguette est coincée. Ay !

On n’est pas maître de son cœur

 

Mais il va y aller despacito, tout doucement. C’est le grand jeu de la lente montée du désir. Et des images de Zuleyka Rivera, la Miss Univers en petite tenue, le hantent jusqu’à la transe.

Il « doit » danser avec elle ce soir. « Tengo que bailar contigo hoy. » C’est même pas cousu de fil blanc ; ça ne tient qu’au fil invisible du fantasme. Y’a que les Latinos pour assumer leur kitsch à ce point.

Après 40 secondes, le mari a appuyé sur « Pause ».

– Pus capable.

– Mais tu ne sauras jamais la fin de l’histoire ! » ai-je argué en vain.

– À 3 min 12, elle se donne à lui.

– Tu vas trop vite. C’est à 3 min 33 que leurs lèvres s’effleurent.

Juste pour lui faire regretter son snobisme culturel, je lui ai raconté que la déesse callipyge jetait plutôt son dévolu sur le papy libéré de ses poussées hormonales.

 

Les premiers seront les derniers

Tous les éjaculateurs précoces, les pressés de terminer en premier et les sprinteurs de la séduction Fitbit au poignet devraient visionner Despacito. Y’a une leçon de vie là-dedans. Une leçon estivale, du moins. Tout doucement. Piano piano.

Du genre, le meilleur moment de l’amour, c’est quand tu te lamentes devant l’horizon qui s’en fout. Ou alors, c’est quand tu penses à tout ce que tu vas devoir te taper pour mériter ce que tu ne mérites pas vraiment, même la madre que te pario le sait.

Mais ça ne t’empêche pas de chanter : « Tú, tú eres el imán y yo soy el metal. »« Toi, tu es l’aimant et je suis le métal. » Despacito. Despacito. Même rouillé, le métal hurle encore. C’est pas d’Éluard, ni de Renaud, c’est une vieille bédé française de science-fiction, Métal hurlant.

Photo: Photo tirée de la vidéo «Despacito» La destination, incarnée par l’ex-Miss Univers portoricaine Zuleyka Rivera. Elle fait trembler les murs.

Et ça hurle au point où tu te « pognes le moine », comme disait mon père. Pour bien nous montrer à quoi tu penses quand tu lui susurres : « Muestrame el camino que yo voy, oh. […] Y es que esa beleza es un rompecabezas. Pero pa’montario aqui tengo la pieza. »« Montre-moi le chemin que je dois suivre. Et il est que cette beauté est un casse-tête. Mais pour le résoudre, j’ai la bonne pièce. »

Il est de bon ton, sur les terrasses du boulevard Saint-Laurent séparant l’ouest et l’est de la ville, de parler franglais. Je vous prédis avant la fin de l’été un léger glissement vers le spinglish ou le frangnol. « Mami, estoy dando y dándolo. »« Chérie, c’est du donnant-donnant. »

Le parler bilingue se fait despacito depuis des années et le langage universel depuis toute l’éternité. De toute façon, Fonsi pourrait chanter une recette de burritos, on danserait la salsa.

On dit que cette chanson pop a fait davantage pour le tourisme portoricain que tout Ricky Martin réuni, et Enrique Iglesias doit être jaloux comme un pou qui n’a jamais eu la gono.

Besame mucho

 

Despacito, c’est le prix de consolation de Nordiques qui se tapent un été humide et froid après un printemps pluvieux et frais. Ils rêvent de débordements lascifs de 4 minutes 41 secondes avec cette naïade des Antilles qui se déhanche en distribuant les besos, tantôt comme une lointaine promesse sur le front d’un gamin, tantôt tel un souvenir sur celui du papy. Généreuse avec ça. Luis ne perd rien pour attendre.

Ça me rappelle la fois où j’ai traîné le mien, de papy, voir les danseuses du Solid Gold, le kidnappant un après-midi de son CHSLD. Le pauvre, il a eu hâte de rentrer pour souper à 16h. Je vous épargne les détails, mais le gin-tonic est incompatible avec les médicaments dont on bourre nos vieux et qui éteignent leur libido, c’est bien connu.

Vamos a hacerlo en une playa de Puerto Rico. Hasta que las olas griten : “Ay. Bendito!”
Faisons-le sur une plage à Porto Rico. Jusqu’à ce que les vagues crient : “Oh! Mon Dieu!”

 

Ceux de Porto Rico ont l’air encore en vie, un peu comme les vieux chanteurs cubains du Buena Vista Social Club d’il y a 20 ans. Vive le mojito, ça préserve.

Parlant de vieux, j’ai montré Despacito à mon ado, qui n’a même pas cillé. « Bof. C’est pas du rap. »

Je me suis rabattue sur sa grand-mère, la madre que me pario. Je m’attendais à une remarque sur la maman, la vierge et la putain, trilogie féminine qui imprègne très fort l’inconscient d’une culture qu’elle connaît bien. Elle a plutôt rigolé devant autant de clichés resucés.

– T’as vu ? Elle ne porte pas de petite culotte sous sa robe… commando ! l’ai-je informée, même si ma madre parle parfaitement l’espagnol.

Sin string, comme disent les Latinos. Et comme on l’espère !

Ay !  

Dans 50 ans, on fera quoi ?

Je suis tombée sur la nouvelle émission Bienvenue en 2067 animée par Jean-René Dufort à Ici Radio-Canada Première, dans son studio à voyager dans le temps. Pas-sion-nant. Le thème de samedi dernier portait sur l’économie et la gouvernance et on y discutait avec les économistes Jacques Attali et Jean-Martin Aussant. Un exercice très éclairant que cette projection vers l’avant. Attali parle gouvernement planétaire et Aussant d’économie sociale. Les deux suggèrent une forme d’altruisme intéressé comme salut, notamment en regard des inégalités et de l’écologie. L’émission aborde toutes sortes d’hypothèses pas si farfelues, entre autres que nous élirons des algorithmes fiables et incorruptibles plutôt que des politiciens en chair et en os.

Ajouté Despacito de Luis Fonsi et Daddy Yankee à ma playlist de zumba. La version remixée et javellisée par Justin Bieber est à éviter scrupuleusement.

Rigolé en visionnant cette vidéo de trois Italiens qui n’en peuvent plus d’écouter Despacito à la radio (merci Lucie Roy). Concernant les tubes estivaux : « Ils les dégèlent juste avant l’été et les recongèlent jusqu’à l’année suivante. » Délicieux.

Craqué pour le groupe Cigarettes After Sex (merci Frédéric Lambert). Pour ceux qui trouvent que Despacito fait two months ago. Musique d’ambiance pop langoureuse avec la voix sensuelle de Greg Gonzalez.



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