La démocratie en berne
Aux quatre coins du monde, la démocratie bat en retraite. Elle est combattue là où des héros se battent encore pour elle. Là où on la croit enracinée et solide, elle se voit menacée, n’a plus la cote, s’abandonne à « l’homme fort ».
Elle s’évapore en Turquie, où le régime Erdogan retourne au despotisme ottoman, remplit les prisons, persécute les journalistes (Le Devoir de samedi), prend des étrangers en otages (le photographe Mathias Depardon), insulte les Européens (« nazis »), tord les résultats des urnes et ramène les normes religieuses dans la vie publique.
Naguère espoir, exemple vivant de la possibilité d’une démocratie dans le monde musulman, la Turquie devient maintenant l’argument, l’exemple contraire du « Vous voyez bien, ça ne se peut pas ! ».
Trente ans après la chute d’un dictateur célèbre (Ferdinand Marcos), les Philippines se donnent, par la voie des urnes, à un assassin revendiqué, Rodrigo Duterte, qui déclare son mépris des normes constitutionnelles, donne carte blanche à la police et appelle les gens à se faire justice eux-mêmes dans le combat contre les narcotrafiquants.
Ce faisant, en plus de menacer une démocratie fragile à Manille, il oublie les insurgés qui reprennent du terrain à Mindanao (la grande île du sud) et plantent des drapeaux de l’organisation État islamique jusqu’au fin fond de l’Asie.
En Amérique latine, des pans entiers du Mexique restent terrorisés par la guerre des narcos, tandis que les assassinats de journalistes se multiplient. Le Brésil, encore récemment symbole d’un sous-continent qui se réveille pour s’ouvrir au monde, rechute dans la corruption et la paralysie politique.
Le riche Venezuela, héritier d’un régime aux origines populaires et démocratiques (Hugo Chávez avait été élu et réélu lors d’élections régulières), sombre dans la dictature et la misère. On avait voulu voir en Chávez l’inventeur d’une démocratie nouvelle ; il laisse après lui un régime autoritaire, gaspilleur, corrompu et incompétent — et ce n’est pas juste la faute de l’inepte Maduro.
La Russie et la Chine n’ont jamais connu la démocratie. Mais même là, les années 1990 et le début des années 2000 avaient laissé espérer une évolution favorable : éléments de pluralisme politique en Russie ; esquisse d’un État de droit et émergence de groupes indépendants en Chine…
Oublié, tout ça ! C’est le grand 180 degrés, avec — à Pékin — une férocité inouïe dans la répression. Et puis l’à-plat-ventrisme du reste du monde, qui n’ose plus la moindre critique… en attendant les investissements du riche monsieur chinois.
Poutine retrouve des accents de tsar, et Xi Jinping de Mao Zedong : retour aux origines, aux fondamentaux. Devant les ratés de la démocratie en Occident, souvent synonyme d’impuissance économique des États, de pouvoir des lobbies et de cirque électoral, les autocrates asiates ont beau jeu de dire : « C’est ça votre démocratie ? Nous, on a nos méthodes et elles marchent mieux ! » Duterte l’élu est peut-être un émule de Xi le mandarin…
Et on n’a pas encore évoqué Donald Trump, le front de boeuf, l’analphabète ignorant et fier que les États-Uniens ont placé à leur tête un certain 8 novembre, celui qui prétend traiter le FBI comme on traite, en affaires, un petit associé dépendant et apeuré. Il fallait voir cet homme, le 20 mai à Riyad, souriant et épanoui parmi les autocrates saoudiens, égyptiens et autres… et quelques jours plus tard, butor et boudeur parmi les leaders européens. Des images qui valent mille mots.
On a beaucoup parlé du populisme européen et de la menace qu’il représente (Front national en France, Brexit en Angleterre, Movimento 5 Stelle en Italie, sans compter les gouvernements au pouvoir à Budapest à Varsovie).
On parle moins du déni de démocratie que représente le refus dogmatique, par Madrid, de laisser les Catalans simplement voter pour décider de leur avenir, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Espagne. Le président Carles Puigdemont a annoncé vendredi la date souhaitée d’un référendum d’autodétermination — le 1er octobre — que Madrid a promis d’empêcher par tous les moyens.
Voilà un exemple où les nationalistes — les nationalistes de Barcelone, pas ceux, hautains, butés et intransigeants, de Madrid — sont du « bon bord » dans la lutte démocratique. Oui, parfaitement : des nationalistes, soucieux de leur identité… et défenseurs de la démocratie assiégée.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.