Un acte de sabotage
La direction de Québec solidaire n’a pas joué franc jeu en n’informant pas les délégués au congrès de la fin de semaine dernière de la conclusion d’une entente secrète sur une « feuille de route » commune vers l’indépendance avant qu’ils se prononcent sur l’opportunité de conclure une alliance avec le PQ.
Gabriel Nadeau-Dubois a fait preuve d’un sophisme digne d’un vieux politicien en déclarant qu’il ne fallait pas placer la charrue devant les boeufs. Les militants solidaires étaient si enragés contre le PQ que cela n’aurait peut-être rien changé à leur décision, mais cette donnée était d’une pertinence évidente dans l’évaluation d’un pacte électoral. Sans ce pacte, il était clair que la « feuille de route »avait toutes les chances de se transformer en feuille morte. La séance d’information à huis clos tenue en toute fin de congrès, qui n’a donné lieu à aucun débat, ressemblait plutôt à une tentative maladroite de sauver les apparences.
Il était déjà intrigant que cette « feuille de route » inspirée du modèle catalan, dûment signée le 10 avril dernier par les représentants du PQ, de QS, d’Option nationale et du Bloc québécois, sous l’égide des Organisations unies pour l’indépendance (OUI-Québec), n’ait pas été rendue publique, comme cela était prévu. Après que le PQ eut reporté le référendum à un deuxième mandat, une telle entente était pourtant inespérée. Pourquoi QS s’opposait-il à son annonce, alors que les autres signataires la souhaitaient ?
Mercredi, en fin de journée, ICI Radio-Canada a révélé l’existence d’un courriel du président sortant de QS, Andrés Fontecilla, qui était un des deux cosignataires de l’entente au nom de son parti, informant OUI-Québec que le Comité de coordination de QS s’opposait à l’entente qu’il avait approuvée en son âme et conscience huit jours plus tôt, malgré les modifications que les autres partis avaient accepté d’y apporter à la demande de QS. « Ça arrive souvent qu’un négociateur juge qu’il y a entente, mais pas les instances qui le mandatent. Ce sont les dangers de la politique », a plaidé M. Fontecilla.
Certes, M. Fontecilla n’est pas le premier politicien à se faire larguer, mais s’il est vrai que la direction de QS n’approuvait pas la« feuille de route », pourquoi Manon Massé a-t-elle confirmé en fin de semaine qu’il y avait bel et bien eu entente. Et si cette entente était caduque, pourquoi l’avoir présentée à huis clos aux militants de QS ? Les a-t-on seulement informés que celle-ci avait été désavouée par le Comité de coordination ?
Ces troublantes manoeuvres ressemblent à un acte de sabotage. Tout le monde a bien noté que les leaders solidaires favorables à une alliance avec le PQ ont été très discrets lors du débat. Seul M. Khadir s’est présenté au micro, et on l’avait déjà vu plus fougueux. C’est à se demander si le Comité de coordination national, dont plusieurs membres étaient opposés à tout rapprochement, n’a pas programmé ce dérapage. Finalement, qui était le véritable Machiavel dans cette histoire ?
Jean-François Lisée réclame maintenant que la« feuille de route »soit rendue publique, mais cette démarche a-t-elle encore un sens ? La politique n’est pas faite pour les coeurs sensibles, mais il y a des limites aux insultes et aux manigances qu’on peut accepter. Pour l’heure, il est difficile d’imaginer péquistes et solidaires marchant main dans la main vers le pays.
Pour ce grand stratège qu’est censé être Jean-François Lisée, l’échec demeure cinglant. Il avait mis tout son poids dans la balance pour imposer la convergence aux éléments de son parti qui n’en voyaient ni le réalisme ni l’intérêt. Heureusement pour lui, le PQ n’a pas les moyens de changer de chef encore une fois, si bien qu’il n’a pas trop à s’inquiéter du vote de confiance auquel il devra se soumettre en septembre. Le chef péquiste a beau jeu d’accuser QS d’avoir fait prévaloir ses intérêts partisans avant ceux du Québec, mais il faut bien reconnaître que la convergence servait admirablement ceux du PQ. On ne reprendra pas Pascal Bérubé à déclarer que le PQ sera incapable de prendre le pouvoir sans l’aide de QS, mais il n’avait pas moins raison.
En 1995, M. Lisée avait été un des grands artisans de l’entente tripartite qui avait permis à l’ADQ de faire campagne sous le parapluie du OUI aux côtés de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard. La comparaison avec l’attitude intransigeante de QS est cependant boiteuse. Si le PQ avait proposé un pacte électoral à l’ADQ en 1994, il y a fort à parier que Mario Dumont aurait dit non.