La chance de Macron

La politique, c’est aussi la chance et le choc des ambitions individuelles. Des gens qui, « le matin en se rasant » (selon la formule consacrée en France), ne pensent qu’à ça et se répètent : « Un jour, je serai dans ce palais ; un jour, je serai président. »

Emmanuel Macron, élu hier président de la République française, a déjà expliqué qu’il « marche au désir » et qu’il faut aller chercher les électeurs sur ce registre-là. Dans un documentaire dont la télévision passait hier un extrait, on le voit, autour de la table, dans une séance de motivation avec ses « helpers » (sic) du mouvementEn marche !. Sur un ton quasi exalté, il leur dit : « Il y a une prime absolue à celui qui a le plus envie. »

L’envie… mais aussi la bonne fortune : combien ce Macron a eu de la chance depuis trois ans !

Total inconnu en 2013, brièvement ministre (jamais élu) entre 2014 et 2016, il a bénéficié depuis six mois d’une série d’alignements extraordinaires. Un président sortant qui renonce après un seul mandat (François Hollande). Un favori de l’opposition qui trébuche à la primaire de droite (Alain Juppé). Un héritier du pouvoir qui trébuche à la primaire de gauche (Manuel Valls).

Sans oublier un super favori issu de cette primaire de droite (François Fillon), qui aurait normalement dû « ramasser » la présidentielle… mais dont le comportement personnel s’est avéré suicidaire. Enlevez un seul de tous ces accidents de parcours, et le nouveau président s’appelait Juppé ou Fillon, dans un pays où la majorité sociologique est clairement à droite.

Voilà pour la présidentielle vue comme jeu de hasard, « course de chevaux » ou événement people

 

Sur le fond… Macron pour faire quoi, avec quels appuis, quels moyens ?

La marge de sa victoire est appréciable : presque deux tiers des suffrages exprimés, le haut de la fourchette des projections de sondages, contre un gros tiers à Marine Le Pen. C’est la majorité la plus imposante de toute l’histoire de la Ve République (hormis Jacques Chirac en 2002).

Mais cette proportion est trompeuse, et ne laisse pas augurer un mandat facile. On est loin du consensus de « deux Français sur trois » que recherchait déjà Valéry Giscard d’Estaing (président de 1974 à 1981).

Il ne faut pas oublier qu’en France, quand on donne les pourcentages de vote, on tasse dans un même paquet, et on élimine, les abstentions (25 %, soit l’inverse du taux de participation de 75 %), les votes nuls et les votes « blancs ». Or, en plus du quart des Français qui ne sont pas allés voter hier, quelque 4 millions de personnes se sont donné la peine d’aller déposer un bulletin blanc en guise de protestation. En comptant ces voix, le résultat de 66-34 deviendrait plutôt 58-30-12 : 12 % de votes blancs, un record !

La composition des voix pro-Macron est très diverse. Alors que le vote Le Pen est largement un vote de conviction (celle des « patriotes » contre les « mondialistes »), l’appui à Macron, au-delà de ses 24 % du premier tour, est un vote « contre » (contre l’extrême droite, considérée comme « anti-républicaine » et dangereuse) plutôt qu’un vote d’adhésion au programme d’« En marche ! ».

Les clivages sont multiples en France. Il n’y a pas que les « patriotes » contre les « mondialistes », les « gagnants » contre les « perdants » de la mondialisation… Il y a les partisans d’une réforme de l’économie et des relations de travail, face aux intransigeants des « acquis sociaux ». Sur ce sujet par exemple, le Front national (Marine Le Pen, qui dans son discours de défaite avait ravalé son agressivité du débat télévisé) et La France insoumise (Jean-Luc Mélenchon, extrêmement dur hier soir) seraient plutôt des alliés.

Il y a aussi la politique étrangère : on a élu hier le candidat le plus pro-Europe, le moins complaisant envers Moscou… alors même que les « amis de Poutine » (à divers degrés) totalisaient 60 % au premier tour !

La suite aux élections législatives, en juin. « Effet Macron » et majorité au nouveau président… ou poursuite de la foire d’empoigne à quatre ou cinq ?

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