Le défi autour de la vie privée
On apprenait récemment que Radio-Canada et une association visant à promouvoir la transparence contestent les politiques du Registraire des entreprises limitant les possibilités de mener des recherches dans le registre des entreprises. La Société Radio-Canada soutient dans son action judiciaire que la décision du Registraire d’interdire la recherche par nom des administrateurs des entreprises viole la liberté de presse et l’empêche d’informer le public. La démarche de Radio-Canada s’ajoute à celle entreprise par OpenCorporates, la plus grande base internationale de données sur les entreprises, qui a déposé une poursuite contre le Registraire québécois le 6 avril dernier.
Évidemment, le tribunal décidera du mérite de ces recours. Mais ces démarches judiciaires reflètent les difficultés imposées par la législation québécoise à ceux qui font du journalisme d’enquête. La façon dont est géré le registre des entreprises illustre comment de tels outils peuvent être configurés afin de limiter la transparence.
Les avantages associés à la mise en place d’une entreprise viennent avec des obligations de transparence. Cela se reflète par la mise à la disposition du public d’informations quant à l’identité des personnes impliquées dans l’administration d’une entreprise. Au Québec, c’est le registre des entreprises qui tient ce rôle. Les informations qui y figurent sont des ressources essentielles pour ceux qui cherchent à savoir qui est derrière une entreprise, qui en est administrateur, etc.
Les registres publics participent à la transparence des affaires publiques. Ils sont au nombre des moyens utilisés par les journalistes d’enquête. En consultant ce registre et d’autres banques de données de renseignements publics, il peut être possible de faire des recoupements et d’élucider les liens entre des entreprises impliquées dans diverses activités auprès du public.
Restrictions des recherches dans les registres
Or, certaines dispositions des lois québécoises contribuent à entretenir l’opacité à l’égard des informations à caractère public. Par exemple, l’article 24 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information impose de restreindre l’utilisation des fonctions de recherche extensive des registres comportant des renseignements personnels et rendus publics pour une « finalité particulière ». Il s’agit par cette disposition d’empêcher la consultation de banques de données publiques afin de repérer des renseignements personnels pour des fins « autres » que celles pour lesquelles ils sont diffusés.
La loi impose donc une restriction à l’utilisation des fonctions de recherche étendue dans les banques de données publiques. Les fonctions de recherche doivent être limitées à ce qui est nécessaire afin d’assurer le respect de la finalité pour laquelle ces documents ont été rendus publics. Cela s’entend. Mais encore faut-il que la loi détermine la finalité pour laquelle l’information est publique. Censurer une information publique en invoquant la finalité pour laquelle elle est publique suppose qu’une loi précise pour quelles fins un renseignement est public. Si la loi est muette à ce sujet, on ne peut inventer une finalité au caractère public d’une information. Si une information est publique, elle est de libre parcours tant qu’on n’en fait pas un usage abusif.
Des « finalités » inventées
Or, des organismes publics invoquent ce qu’ils estiment être la « finalité » pour laquelle un renseignement est rendu public afin de prohiber certains types de recherches dans les banques de données de renseignements publics. Par exemple, des municipalités se sont mises à invoquer de supposées finalités au caractère public du rôle d’évaluation foncière afin d’y prohiber les recherches en fonction du nom des personnes enregistrées à titre de propriétaires d’immeubles. Voilà comment on complique l’accès à des informations qui ont pourtant un caractère public.
Certains ont tenté de justifier cette censure en faisant valoir que, dans l’univers des documents sur papier, la recherche est souvent longue puisque les documents doivent être examinés un à un. Pour les documents dans des registres informatisés, les possibilités de recherche sont démultipliées, ce qui peut laisser craindre de possibles atteintes à la vie privée. Un tel raisonnement revient à refuser que les avantages de la technologie servent au journalisme d’enquête sous le fallacieux prétexte que certains pourraient en abuser.
Les registres publics participent à la transparence. Ils compilent des données qui concernent des activités publiques. C’est pervertir le droit à la vie privée que de le prendre ainsi pour prétexte afin d’entraver l’accès aux données publiques.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.