Cette délicieuse Toscane
C’est à 20 ans que le vin est bon. Avant, on le butine, après on l’assassine. Trop tôt et le voilà fébrile, en attente ; trop tard et le voilà docile, sur la pente. Certes, la fenêtre est étroite, mais elle est si large d’horizons olfactifs et gustatifs qu’on a l’impression de confondre le fruit et la terre dans ce mouvement circulaire où la vie et la mort se lient d’amitié.
C’est à 20 ans que le vin rend bon ; bon, calme et apaisé, comme si sa sagesse même montrait la voie à la nôtre.
Je ruminais tout ça dans ma tête, « porté » dernièrement par la cuvée Luce 1997 de la maison Frescobaldi de Toscane, une cuvée qui fait la part belle au sangiovese grosso habillé de merlot, le tout transporté par un élevage princier.
Mais qu’est-ce que 20 ans quand les Dino, Girolamo, Vittorio, Ferdinando, Leonardo et aujourd’hui Lamberto Frescobaldi tracent, et ce, depuis plus de 700 ans, une destinée familiale vouée à la viticulture en terre toscane ?
Pour tout dire, ces 20 ans ne sont rien en regard des siècles écoulés, et pourtant, ils confirment l’essentiel : que la famille ne s’y est pas trompée. Elle n’est pas la seule, évidemment. Les Antinori, Ricasoli, Torres, Mondavi et autres Egon Müller de ce monde, pour ne nommer que ceux-là, savent ou ont su aussi saisir ce potentiel ouvert sur tous les possibles, soulignant cette adéquation fine entre cépage et lieu qui accouche du grand vin.
Car voilà — et on ne le soulignera jamais assez —, rares sont les vins qui osent le poids des ans sans faner. Avis à ceux qui, amnésiques ou bêtement butés, troquent leur cave à vin actuelle pour un cimetière à bouteilles…

Tenute Luce della Vite : autre joyau de la couronne
Au domaine originel Castiglioni, où tout a démarré, se sont greffés au fil des siècles, toujours en Toscane, les tenute Nipozzano, Castelgiocondo, Ammiraglia, Remole et, depuis 1996, avec le rachat et le remembrement de parcelles vendues antérieurement, Luce della Vite. Un bijou de vignoble de 55 hectares installé au coeur d’une étonnante biodiversité locale.
Un partenariat voit alors le jour entre la famille Robert Mondavi à la même époque, avec dissolution quelques années plus tard, soit en 2004-2005, alors que Mondavi se voit avaler par le géant Constellation Brands. Période riche d’échanges, cependant, ici confirmée entre autres par ce Luce 1997.
Fait à souligner, qui pourra sembler cocasse, le Californien Tim Mondavi tâchera toujours de convaincre Lamberto Frescobaldi de ne pas céder à la tentation de trop boiser les vins, une observation que ce dernier prendra au pied de la lettre par une approche très pointue en la matière.
« Un mauvais choix de barrique peut ruiner notre vin », dira d’ailleurs l’homme, avant d’ajouter : « C’est bien pourquoi, une fois l’an, nous invitons au domaine nos fournisseurs tonneliers à venir déguster à l’aveugle le contenu des barriques qu’ils ont eux-mêmes confectionnées. Nous remercions alors ceux qui ne sont pas à la hauteur de la tâche… »
La dégustation qui suit confirme la sagesse mise en oeuvre sur le plan de l’élevage. Nul doute que le nouvel oenologue Stefano Ruini, en fonction depuis janvier 2017, inscrira sa démarche en ce sens.
Luce 1997. Selon Lamberto Frescobaldi, ce millésime évoque le tout récent 2016 avec gel léger en avril et, en aval, un décalage sur le plan des vendanges (octobre). Un vignoble encore jeune, mais qui n’en est tout de même pas à sa première feuille (planté entre 1975 et 1996) et dont le vin, ici servi en magnum, atteint un sommet d’expression, de race, de longueur.
Avec un coeur fruité particulièrement glorieux et une trame tannique fine, vivante et évocatrice, aux nuances de cèdre de graphite et de Zan, dans l’esprit d’un grand médoc. Superbe, simplement. (5) ★★★★1/2
Luce 1999. Le profil est plus dense, plus serré que le 1997, plus puissant aussi, quoique dégageant une certaine grâce sur le plan de la texture notamment. Un rouge corsé très aromatique, ample et très vivace qui gomme l’impression de légère surmaturité, ressentie par exemple dans le relief sphérique des tanins. (5) ★★★★ ©
Luce 2006. Équilibre hydrique assuré dans ce millésime chaud, mais avec ce contraste bénéfique jour/nuit sur le plan des températures qui a préservé l’intégrité aromatique d’un fruité qui, à l’aération, « bourguignonne » tant il séduit.
Élevage magnifique avec ses dérivés de noix de coco et de réglisse fumée ; légère pointe d’astringence qui raffermit l’autorité en milieu de bouche avec, en finale, une expression de tabac frais. (5+) ★★★★ ©
Luce 2008. Le merlot a eu chaud dans ce millésime et accapare illico une bouche étoffée et sphérique, pourvue d’une épaisseur et d’un velours de texture uniques. Touche chocolatée sur une longue finale. Racé. Une main de fer dans un gant de cuir fin. Prêt à savourer sur le gibier que vous croiserez dans votre assiette. (5) ★★★★ ©
Luce 2010. Les sols « froids » argileux ont ici une fois de plus changé la donne sur les merlots en ralentissant la cadence de la maturation sur pied.
Ajoutez ces contrastes de température jour/nuit combinés à l’altitude de plantation, et vous avez déjà réuni les paramètres du grand vin de garde dans son harmonie la plus aboutie.
À l’élevage aussi fascinant qu’améliorateur, ajoutons un profil animal musclé, structuré et puissant, au goût profond d’encre, de cacao et de réglisse. Le tout encore une fois très frais, d’une longueur… Laisse bouche bée. (10+) ★★★★1/2 ©
Luce 2012. Encore très jeune d’expression, ce 2012 donne l’impression, par sa précision aromatique, sa finesse et son soyeux de texture, de vouloir atteindre rapidement sa vitesse de croisière en se positionnant sur une orbite restreinte dans le temps.
La grâce, la pureté et l’harmonie se combinent sur un ensemble d’une lisibilité qui témoigne d’une vinification plus que soignée. Un bijou de fraîcheur. (5+) ★★★1/2