Concurrence fiscale

Le Canada ne l’a pas facile, ces temps-ci. Cette glissade du dollar canadien à 73,46 ¢ US, à son plus bas depuis un an et demi, en témoigne. Au déclenchement d’une guerre commerciale avec son principal partenaire économique, à ces accords commerciaux ébranlés dans leurs fondements, s’ajoute l’entrée des États-Unis sur la scène de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les pays industrialisés afin de relancer leur économie. Il y a fort à parier que la « réserve Trump » présente dans les budgets Morneau et Leitão ne sera pas suffisante.

Tout n’est pas encore ficelé. Si certains paramètres de la réforme fiscale promise par Donald Trump ont été officialisés mercredi, il reste à déterminer la source de financement. Miser uniquement sur la croissance économique induite ne suffira pas à convaincre un Congrès plutôt sensible aux débordements budgétaires et à l’accroissement de la dette américaine. Le projet de taxe à la frontière sur les importations reste dans les cartons, mais elle se bute aux réticences de toutes ces entreprises américaines dépendantes de produits importés. Et à cette grande majorité d’États qui bénéficient pleinement d’une saine relation commerciale avec le Canada. Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, a laissé entendre mercredi que sans l’exclure, Washington devra la peaufiner.

Pour l’instant, le débat demeure entier aux États-Unis sur la neutralité budgétaire de ces mesures fiscales. Mercredi, le New York Times allait au-delà de l’enseignement de la courbe de Laffer disant que, au-delà d’un certain seuil, plus le prélèvement fiscal augmente, plus les recettes fiscales d’un gouvernement diminuent en raison de l’effet désincitatif de ces pressions. Pour évoquer les dissensions autour des retombées réelles sur la croissance économique. Le quotidien new-yorkais soutient qu’ils sont peu nombreux à croire au principe de l’« évaluation dynamique » proposant que les réductions d’impôts finiront par se payer d’elles-mêmes, rappelant les époques de la présidence de Ronald Reagan et de George W. Bush.

Mauvais escient

 

En clair, à l’effet induit d’une hausse de 100 points de base du PIB évoquée mercredi par le secrétaire au Trésor, nombre d’experts, même issus des rangs républicains, suggèrent plutôt de retenir un impact entre 10 et 20 points de base, soit l’équivalent d’une récupération du tiers de la réduction fiscale octroyée aux entreprises.

Dans son évaluation publiée au début d’avril, le Fonds monétaire international s’est aussi inquiété d’une utilisation à mauvais escient d’une éventuelle « manne fiscale », voire d’une augmentation de l’endettement déjà record des entreprises américaines. L’histoire démontre que ces allégements fiscaux servent trop souvent à soutenir des transactions peu productives, comme une rémunération accrue des dirigeants et des actionnaires sous forme de rachat d’actions et de hausse du dividende. Ou des fusions-acquisitions, disait le FMI.

Mais un fait demeure. Cette réforme poussera les États-Unis dans cette concurrence fiscale relancée l’an dernier par un Royaume-Uni proposant d’abaisser le taux d’imposition des sociétés britanniques sous celui des 20 principales économies mondiales d’ici à 2020. La Hongrie, le Luxembourg, le Mexique, la Chine, l’Australie et Israël ont annoncé également des baisses de taux d’imposition, a déjà rappelé le cabinet Ernst Young. Dans l’Union européenne, il varie de 12,5 % en Irlande à 33,3 % en France, ce dernier visant toutefois une réduction progressive à 28 %.

Le Canada a donc raison d’y craindre une perte de compétitivité. D’autant que toutes ces tractations autour des accords commerciaux ne peuvent que freiner les investissements étrangers. D’autant, également, que le nouvel attrait fiscal américain plonge les entreprises canadiennes internationales dans une nouvelle réflexion. Pour ces dernières, le cabinet Raymond Chabot a déjà calculé qu’une entreprise québécoise faisant affaires aux États-Unis paie environ 40 % d’impôt (fédéral et État combinés). Il passerait à 20 % après la réforme de Trump, contre un taux maximum pouvant atteindre 27 % au Québec.

Il n’y a pas d’exode à craindre, sous le jeu de la comparaison des taux effectifs favorables au Canada. Mais des calculs devront sûrement être faits. Le fiscaliste albertain Jack Mintz chiffrait mercredi l’impact éventuel sur le trésor public au Canada à 6 milliards par année.

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