De quoi Facebook est-il responsable?
Un illuminé peut diffuser en ligne une vidéo en direct d’un crime qu’il est en train de commettre. Un seul individu doté d’un téléphone dit « intelligent » dispose désormais d’une capacité de diffusion autrefois réservée aux grands médias de masse. Voilà la puissance que les réseaux sociaux procurent à toute personne dotée d’un appareil raccordé à Internet. Comment envisager la régulation de ces attributs désormais conférés à tout possesseur d’un appareil portable ? Est-ce qu’il y a une entité responsable de prévenir, en temps utile, la mise en ligne d’images de véritables viols ou de meurtres en direct ?
Les réseaux sociaux sont désormais les portiers d’Internet. En utilisant les plateformes Facebook, Google ou YouTube, les usagers peuvent partager des contenus en ligne. Mais dans quelle mesure ces plateformes sont-elles responsables des images dégradantes, de la revenge porn que certains s’avisent d’y afficher, des messages de harcèlement, des textes haineux ou des fausses nouvelles que certains usagers y répandent ?
Sur le plan de leur responsabilité au regard des lois, la principale caractéristique de ces plateformes de réseaux sociaux, c’est qu’elles ne tiennent pas un rôle actif dans les décisions éditoriales que les internautes y accomplissent. Par exemple, Facebook procure un espace pour y déposer des images ou des commentaires, il n’édite pas lui-même ces contenus. La décision de partager des contenus et la responsabilité qui vient avec est celle des usagers.
Une grande immunité
C’est d’ailleurs afin de favoriser la liberté d’expression incarnée par cette capacité des usagers à diffuser ce qu’ils décident de porter à la connaissance du public ou de leurs contacts que les lois de plusieurs pays ont posé qu’en principe les plateformes ne sont pas responsables des contenus mis en ligne par les usagers. Aux États-Unis, on est allé plus loin en leur conférant une très large immunité à l’égard des contenus émanant du public. Malgré plusieurs protestations contre cette immunité accordée aux plateformes, les juges américains refusent de les tenir responsables des contenus mis en ligne par un usager.
Sans cette importante protection découlant de la législation américaine, des environnements comme Facebook ou YouTube ne se seraient probablement pas développés. Si ces plateformes étaient a priori responsables de tout ce qui apparaît sur leur site, elles auraient vite fait de filtrer au préalable tout contenu qu’un internaute se propose de mettre en ligne et qu’elles estiment « risqué ».
Une approche un peu moins protectrice pour les plateformes comme les réseaux sociaux a été retenue en Europe et au Québec. Dans ces juridictions, elles peuvent être tenues responsables du matériel mis en ligne par autrui sur leurs sites, mais uniquement si elles ont connaissance du caractère illicite du propos.
Au Québec, l’article 27 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information édicte que les intermédiaires qui hébergent des contenus provenant de tiers, tels les réseaux sociaux, ne sont pas obligés de surveiller ce qui se passe sur leurs environnements. Ce n’est que lorsqu’ils ont connaissance du caractère illicite d’un contenu qui s’y trouve qu’ils peuvent en être tenus responsables.
Mais des voix s’élèvent pour que les plateformes intermédiaires sur Internet assument plus de responsabilités quant aux contenus. On réclame que les réseaux sociaux surveillent proactivement les messages haineux, les images intimes publiées dans un but de vengeance et bien sûr les vidéos diffusées en direct.
Des mégacenseurs ?
Évidemment, rien n’empêche les Facebook de ce monde de mettre en place des mesures plus efficaces afin de repérer et de purger les contenus qui posent problème. Mais à cet égard, il n’y a pas toujours matière à nous rassurer ! On se souvient de la censure par Facebook des sites sur l’allaitement maternel ou du tableau L’origine du monde, de Gustave Courbet. Nous sommes ici dans le domaine des significations des mots et des images. Évaluer des masses considérables de contenus est difficile à envisager sans une certaine automatisation. Or, automatiser l’évaluation du sens des mots et des images pose de redoutables défis !
Mais avant de faire des lois pour accroître la responsabilité des plateformes, il faudra se souvenir que, si elles sont responsables des propos mis en ligne par les internautes, il est prévisible qu’elles vont jouer de prudence. Pour limiter le caractère risqué de leurs activités, il est probable qu’elles décideront de surveiller et de censurer plus intensément les informations que s’échangent les internautes. Après avoir toléré des politiques publiques leur permettant d’accaparer la part du lion des revenus publicitaires, est-ce qu’on va accepter de transformer ces mégaplateformes en mégacenseurs ?