Encore, toujours, passionnément… Chablis!
À cette personne qui détestait viscéralement le chardonnay lui fut servi un jour à l’aveugle un verre de chablis. Avec la réaction que vous devinez : « Mon Dieu que c’est bon, ça ! » Avait-elle communié directement avec le divin ? Plutôt avec le terroir. Car il est fort en gueule ici, le terroir, dans l’Yonne, à 180 kilomètres au sud-est de Paris. À ce point dérangeant, parfois, que le vin qui sourd de ses marnes calcaires donne l’impression d’avaler par louches entières une soupe aux huîtres de type Exogyra virgula. Rien que ça.
L’appellation bourguignonne coincée entre Tonnerre et Auxerre, couvrant actuellement un peu plus de 5000 hectares de vignoble, n’est pourtant pas en bordure de mer, à ce que je sache. Quèsaco ? La faute au terroir ? Il y a un peu, beaucoup de cela ici. Les experts parlent d’une veine de marnes argileuses (le fameux kimméridgien) qui, comme un serpent de mer, glisserait sous la Champagne, frôlerait le bassin parisien pour remonter de l’autre côté de la Manche, dans le Dorset anglais. Mais ça, vous le savez déjà.
Vous connaissez aussi la suite. Un beaunois (le chardonnay local) adapté à cette région septentrionale où les gels ne sont pas rares et qui « regarde » vers l’est et le sud pour briller à son meilleur, avec ces micro-ajustements (altitude, variations fines de terroir) qui, ici plus qu’ailleurs, révèlent une palette de nuances si subtiles entre les différents chablis, que c’est à se demander comment un seul cépage peut être si kaléidoscopique sur le plan de la nuance.

C’est ce qu’ont pu vérifier de facto les Amis du vin du Devoir (AVD) cette semaine avec la dégustation à l’aveugle de sept chablis (plus un pirate). Il fallait être attentif, oui, les vins laissant parfois aphone tant ils intriguent et confondent. Seul regret : n’avoir pu couvrir qu’un infinitésimal échantillonnage des possibilités d’interprétation découlant des parcelles, des climats, des lieux-dits et, bien sûr, des gens appliqués sur le terrain. Nous sommes en Bourgogne, ne l’oublions pas ! Je complète le tout avec d’autres beaux chablis actuellement disponibles (aussi dégustés à l’aveugle).
Chablis 2014, Les Allées du jardin, Domaine D’Henri (27,65 $ – 13074762). Retour de Michel Laroche au bercail familial, où il oeuvre avec la maîtrise qu’on lui connaît. Acuité, brillance et densité pour un blanc sec aussi aérien que minéral et qui commence à se nuancer dans ce grand millésime classique. Réelle harmonie. (5+) ★★★1/2 ©. Moyenne du groupe ★★★
Petit Chablis 2015, Clotilde Davenne (25,80 $ – 11639441). La griffe minérale apparaît moins soutenue, sinon absente ici, selon le panel qui en apprécie plutôt le fruité immédiat, sans les nuances du chablis précédent. À moins de 2 $ de différence avec ce dernier, l’affaire parle d’elle-même. (5) ★★1/2. Moyenne du groupe ★★1/2
L’élégante 2014, Domaine La Croix Montjoie, Vézelay (28,10 $ – 12371239). Les AVD ont moins perçu le caractère minéral que l’amertume dans ce chardonnay issu de Vézelay, tout juste au sud-est d’Auxerre. Peu expressif mais détaillé en finesse, ce blanc charme par ses nuances grillées d’amande et de pomme fraîche. Rondeur et élégance. (5+) ★★★ ©. Moyenne du groupe ★★1/2
Chablis 2014 Tête d’Or, Billaud-Simon (33,50 $ – 10517046). « Un grand pudique que celui-là ! » lança un dégustateur. Vrai. Un vin qui se referme comme une huître. Faut pas lui en vouloir. Mais quelle finesse, quelle sensibilité ! Ce grand millésime taille le chardonnay dans du cristal, avec mille facettes vives qui, par effet de loupe, en décuplent la force minérale. Il y a du terroir ici. Attendre. (5+) ★★★1/2 ©. Moyenne du groupe ★★★
Chablis 1er cru Vau de Vey 2014, Domaine des Malandes (36 $ – 960310) : Les 3,5 hectares du domaine sur un axe plutôt pentu soulignent ici un fruité à caractère iodé caractéristique. Déjà écrit en cette page : « L’impression d’un froissement de roche dont la poudre minérale fine atteint des sommets, cristallisant le fruité sous une tension aussi précise que lumineuse. » Je récidive ! (5+) ★★★1/2 ©. Moyenne du groupe ★★★
Chablis grand cru Les Clos 2010, Bichot (71,50 $ – 13135262). S’il a déjà fait un bout de chemin, ce cru, tel l’albatros s’élevant du pont d’un navire, embrasse large l’horizon tout entier. Belle robe or ponctuée de ce reflet vert typique du beau chablis, parfums larges, amples et mûrs de foin vert, d’huître en latence, d’amande au beurre et saveurs riches et profondes, moelleuses et longues. (5+) ★★★★ ©. Moyenne du groupe ★★★1/2 (fort)
Chablis 1er cru Les Lys 2014, William Fèvre (52 $ – 11055568). Sur la rive gauche du Serein, ce climat captive et fascine. Comme si la maison avait fait les branchements électriques éclairés entre sous-sol et cépage pour que puisse passer le voltage adéquat. C’est bien sec, salin, vivace et vineux, avec ce goût percutant de cédrat, de pomme et de noisette sur une longue finale racée. Top ! (5+) ★★★★ ©. Moyenne du groupe ★★★★
Chablis grand cru Valmur 2015, J. P. Droin (82,25 $ – 12280775). Assurément une affaire d’infanticide que de libérer le génie de la bouteille avant l’heure. Mais tout est en place ici.
Fruité aussi radieux qu’éclatant, avec ce profil nuancé où la barrique joue au yo-yo avec les subtilités terroir, le tout décliné avec majesté, faste mais aussi rigueur et style. Bien moins cher qu’un Corton-Charlemagne ; pas moins bon pour autant ! (10+) ★★★★1/2 ©. Moyenne du groupe ★★★★
Petit Chablis 2015, G. O. Alexandre (21,30 $ – 13135781). Impeccable, surtout pas petit du tout avec son fruité riche, mûr et homogène, sa touche de laine humide et de foin vert. Convaincant. (5) ★★1/2
Chablis 2015, Vigne de la Reine, Château de Maligny (23,45 $ – 560763). Meilleur qu’à l’habitude, m’a-t-il semblé. La parcelle s’offre un fruité de belle maturité, mais le vin demeure friand, avec un indiscutable effet salivant et mentholé sur la finale. (5) ★★★
Chablis 2015, Louis Moreau (25,25 $ – 11094727). Le chablis de chez Louis Moreau ne porte jamais de gros sabots. La discrétion même, surtout un soyeux de bouche ponctué par une fine touche minérale. Sensuel ! (5) ★★★
Chablis 2015, Séguinot-Bordet (25,95 $ – 926899). Typique du millésime, presque Nouveau Monde de style, riche et bien mûr (pêche-ananas), peu acide, rond, très charmeur. (5) ★★1/2
Chablis 1er cru Vaulignot 2015, Louis Moreau (30,35 $ – 480285). Derrière la robe or pâle très pure avec ses reflets verts, finesse et discrétion, surtout une bouche tracée au laser, longue, subtile, minérale. (5+) ★★★1/2
Chablis 1er cru Montée de Tonnerre 2015, Château de Maligny (36, 50 $ – 895110). La densité et la richesse de l’ensemble laissent penser que l’on a longuement travaillé les lies fines ici. Mais, en substance, une impression minérale crayeuse forte, cette tension et ce goût de… crabe des neiges, certes déroutant mais appétissant ! (2) ★★★1/2
Chablis 1er cru Les Vaillons 2014, Laroche (37,75 $ – 13178481). Comment ne pas aimer le chardonnay ici ? Ce Vaillons brille comme un diamant froid. Pénétrant, salin, austère, très vivant et d’une allonge digne des meilleurs. Racé ! (5+) ★★★1/2 ©
Chablis 1er cru Montmains 2014, William Fèvre (52 $ – 11055568). Sur la rive gauche du Serein, ce climat fascine par sa tension et sa salinité presque iodée, laissant le fruité surfer sur une assise de coquillage longue, élégante. (5+)