Le nouveau Circuit zéro déchet

Surtout, bien planifier. Penser que tel aliment devrait entrer dans tel contenant. Laver, rincer, assécher, empaqueter. On part avec des pots vides, ils reviennent pleins. Avec la satisfaction d’avoir apporté notre (petite) contribution. Plus l’exercice se répète, plus nos poubelles fondent comme neige au printemps. Et tant pis si deux ou trois emballages non prévus se sont ajoutés sur le parcours. On ne naît pas « zéro déchet ». On apprend à le devenir.
Lorsque Cindy Trottier se pointait avec ses contenants vides chez des commerçants de son coin, à Salaberry-de-Valleyfield, en leur demandant d’y mettre des aliments, elle essuyait systématiquement des refus. « Non. Impossible. Pour cause d’hygiène… » Des tentatives d’achat en vrac qu’elle relatait sur son blogue lancé en 2015.
Deux ans plus tard, sa pratique, qui s’inscrit dans la mouvance d’un mode de vie dit « zéro déchet » visant la réduction à la source, est moins jaugée, et son idée d’apposer un autocollant sur les boutiques acceptant des clients comme elle a pris forme. En janvier 2017, la municipalité régionale de comté (MRC) de Beauharnois-Salaberry s’est engagée à distribuer gratuitement un autocollant à tous les marchands référencés sur son territoire qui désiraient participer.
« L’arrivée de ce partenaire m’a donné les fonds de base pour financer la première série d’autocollants », raconte Cindy Trottier. Le Circuit zéro déchet était né. Mais l’initiative de cette jeune mère de famille, infographiste indépendante, va au-delà du territoire de sa MRC. Partout au Québec, un commerçant peut s’inscrire au Circuit (circuitzerodechet.com), moyennant 5 $ pour couvrir les frais d’impression de l’autocollant et de gestion de la plateforme. Le nouveau membre apparaîtra alors sur la carte interactive et dans le répertoire du site Web.

Salubrité
« Si on s’affiche avec l’autocollant, c’est qu’on décide de ne juger que la salubrité du contenant. Pas le reste », explique-t-elle. Comme il importe, dans une situation d’achat en vrac, d’avoir une approche positive et de rester courtois, l’autocollant s’accompagne d’un guide de bonnes pratiques complété de règles d’hygiène et de salubrité émanant du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), ainsi que d’une lettre promotionnelle explicative. Pour que chacun s’y retrouve, clients comme commerçants.
À quel type de commerce ai-je affaire ? Quelles sont les zones de service ? Comment procéder avec les ustensiles (louche, pelle, cuillère) qui entrent en contact avec les contenants ? Etc. Les échanges amorcés dès 2015 avec le service des communications du MAPAQ (la blogueuse avait alors un tas de questions concernant sa propre démarche d’achat en vrac) ont permis à Cindy d’éclaircir le contexte et la pratique. Des précisions qu’elle relaie dans le guide du Circuit, qui reprend mot pour mot celles communiquées par le MAPAQ.
En aucun cas le Circuit zéro déchet ne peut être tenu pour responsable d’un commerce ou d’un client qui ne respecterait pas les règles [du MAPAQ]
Pour le ministère, ces pratiques de bonne tenue du service en vrac, des règles d’hygiène et de salubrité, trouvent généralement leurs réponses parmi des documents officiels déjà existants. Toutefois, la popularité croissante du mouvement Zéro déchet les remet au-devant de la scène avec des interprétations qui, parfois, sur le terrain, varient d’un inspecteur à l’autre.
Petit casse-tête bureaucratique pour la boutique et incompréhension pour le client… « Par exemple, le marchand doit toujours porter des gants, utiliser un petit sac en plastique ou un papier pour y déposer l’aliment à peser. Ce sont des déchets, mais on n’a pas le choix », explique Cindy. En fait, c’est le déchet final qui devrait être remis au client (une barquette enrobée de papier ou un sac dans un sac) qui est éliminé.
Deux réalités
Deux réalités commerciales coexistent : les nouvelles épiceries pensées pour servir les clients selon la formule « zéro déchet » (comme LOCO, à Montréal, qui met à leur disposition un évier pour le nettoyage des contenants si nécessaire) et celles qui ne le sont pas et qui doivent s’adapter en respectant les règles du MAPAQ. « Les marchands doivent s’informer avant de s’afficher sur le Circuit. En aucun cas le Circuit zéro déchet ne peut être tenu pour responsable d’un commerce ou d’un client qui ne respecterait pas les règles », ajoute Cindy. Elle verrait bien son initiative s’accompagner de formations spéciales en hygiène et salubrité et son site devenir une référence, une sorte de TripAdvisor du « zéro déchet ».
Depuis janvier, le Circuit zéro déchet se développe grâce à de bons samaritains donateurs (on finance soi-même une série d’autocollants qu’on distribue gratuitement aux marchands de son coin ; il suffit de leur présenter la lettre promotionnelle, le guide, etc.) et des partenaires comme la MRC de Beauharnois-Salaberry.
Escouade verte
Certes, il ne s’agit pas encore d’une armée : une trentaine de commerces, à l’heure actuelle, toutes régions confondues, sont listés sur le site, mais 260 autocollants sont en circulation. Du côté du service de l’environnement de la MRC de Beauharnois-Salaberry, l’impulsion sera véritablement donnée lorsque son « escouade verte » fera de la sensibilisation en se rendant chez les marchands. « Rien de tel que le contact direct ! » confirme Alexandra Verner, chargée de projets en gestion des matières résiduelles pour la MRC.
Elle fait d’ailleurs partie de ceux qui ont décidé de prendre leur bâton de pèlerin pour répandre ce type d’action. Munie d’autocollants, la jeune femme compte bien intégrer dans le circuit certains commerces de la rue Wellington, dans l’arrondissement de Verdun, où elle habite. Une vingtaine d’autocollants en poche, des centaines de déchets en moins.

La gourou du mouvement Zéro déchet est la Franco-Américaine Béa Johnson. Son livre Zéro déchet (en anglais Zero Waste Home), paru en 2013, a fait un tabac et des émules. Depuis, les récits de famille à la quête du zéro déchet (c’est à celle qui exhibera le plus petit bocal de déchets !) ont la côte. Consultez le blogue de Béa Johnson, qui donne des conférences sur le sujet à travers le monde.
Les grandes bannières alimentaires classiques et l’achat en vrac, voilà une question et une gestion qui, pour le moment, restent complexes. Par contre, pour d’autres, dont c’est le coeur du service, le virage est pris. Ainsi, Bulk Barn, le plus gros détaillant alimentaire en vrac du Canada, vient de rendre son programme de contenants réutilisables disponible dans tous ses magasins au pays ; et désormais, des frais pour les sacs s’appliquent.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.