S’aimer à Marrakech

Jacques Majorelle, Yves Saint Laurent, un artiste autrichien, des touristes chinois : la Ville rouge n’en finit plus d’ensorceler ses visiteurs. Et deux nouveaux attraits devraient y contribuer davantage…

Il y a des villes qu’on aime. Des villes où on aime. Où on s’aime. Marrakech, capitale touristique du Maroc, est de celles-là. J’y étais il y a deux semaines, à l’invitation d’Air France qui inaugurait sa nouvelle ligne au départ de Paris–Charles-de-Gaulle.

Trois liaisons hebdomadaires, bientôt six, d’une Ville lumière à une autre, pas tant destinées aux Français, qui connaissent la divine Marocaine comme Samir sa médina, mais bien à une clientèle québécoise, russe, chinoise… Oh, bienheureux soit celui qui y atterrit pour la première fois !

Photo: Carolyne Parent Au bon marché aux olives de Marrakech

Des retrouvailles

 

Après une absence de 14 ans, mes retrouvailles avec « une ville au développement rapide, qui s’internationalise de plus en plus », selon Frank Legré, directeur général du réseau Afrique d’Air France, auraient pu mal tourner. Il est toujours hasardeux de tenter d’arrimer réalité et souvenirs heureux par le temps sublimés.

De fait, la ville qui a donné son nom au royaume se développe bel et bien. L’inauguration d’un terminal aéroportuaire, en décembre dernier, laisse notamment entendre que le plan de développement touristique national, lancé il y a 10 ans avec l’objectif de doubler le nombre de touristes à l’horizon 2020, portera ses fruits.

Mais en ce qui me concerne, la pastilla ne fut pas amère. J’ai même trouvé la destination bien de son temps avec ses riads enseignant désormais le b.a.-ba du tajine de… bar rayé, ses mosquées « vertes » dotées de panneaux solaires et deux nouveaux attraits qui me font l’aimer davantage.

Photo: Carolyne Parent Détail de la maison Art déco à pergola marocaine construite dans les années 1930 pour Jacques Majorelle.

Le musée du couturier

 

Dans le quartier moderne de Guéliz, c’est le branle-bas de combat rue Yves Saint Laurent. On réaménage la voie publique tandis qu’on termine, tout à côté du jardin Majorelle, un chantier majeur, celui du musée Yves Saint Laurent Marrakech.

Flash-back. 1966. Le couturier et son compagnon Pierre Bergé ont le coup de foudre pour la ville. Ils y achètent une maison, puis, en 1980, acquièrent le jardin du peintre orientaliste Jacques Majorelle qui l’avait créé dans les années 1930. Ce faisant, ils le sauvent de la destruction. Et quelle baraka, car aujourd’hui, c’est l’attrait numéro un de Marrakech avec 700 000 visiteurs annuellement !

C'est à partir de 1966 qu'Yves Saint Laurent a introduit la couleur dans son travail. "J'ai appris la couleur au Maroc", disait-il.

 

Pendant près de quatre décennies, le natif d’à côté (Oran, en Algérie) dessinera la plupart de ses collections dans la Cité ocre. « C’est à partir de 1966 qu’Yves Saint Laurent a introduit la couleur dans son travail, souligne Björn Dahlström, directeur des musées de la Fondation du Jardin Majorelle. "J’ai appris la couleur au Maroc", disait-il. Ce musée a donc une réelle légitimité. »


​Habillé de terre cuite reproduisant la trame d’un tissu, le bâtiment de 4000 mètres carrés présentera l’oeuvre du créateur et ses sources d’inspiration. Il aura également vocation de centre culturel.

Photo: Carolyne Parent La célèbre place Jemaa El-Fna, classée au patrimoine immatériel de l'UNESCO

Un fonds unique

 

Riche de 5000 modèles et 15 000 accessoires, la Fondation Pierre Bergé–Yves Saint Laurent dispose d’une collection considérable qui alimentera les expositions. « C’est un fonds unique, dit le directeur. À cet égard, Pierre Bergé a été visionnaire puisque, dès les premières années, il a conservé les modèles des défilés tels qu’ils avaient été imaginés par M. Saint Laurent. »

Au musée marrakchi, qui sera inauguré le 19 octobre prochain, fera écho un musée parisien, à même la maison de couture, avenue Marceau. Celui-là ouvrira ses portes le 3 octobre.

« À Paris, le musée en sera davantage un de mode et de références, explique Björn Dahlström. On y verra de grands modèles iconiques et on visitera également le studio de création de M. Saint Laurent. »

À Marrakech, l’exposition permanente sera assortie d’expositions temporaires, dont la première sera dédiée à Jacques Majorelle. Pour le directeur, c’est une belle façon de boucler la boucle : « Après tout, nous sommes chez lui comme chez M. Saint Laurent. »

Photo: Carolyne Parent Le jardin Anima

Le jardin de l’Autrichien

Sur la route de l’Ourika, à 25 kilomètres de la ville, un tout autre jardin, ouvert depuis à peine un an, attire les curieux : Anima. Ce projet fantaisiste d’un artiste touche-à-tout natif de Vienne, André Heller, et de son compatriote Gregor Weiss, marie nature et sculptures dans une ancienne roseraie.

« C’est un parcours qui représente 70 ans de vie, d’expérience et d’émotions », m’explique le créateur à dégaine de rock star, en m’accueillant chez lui.

Photo: Carolyne Parent L’artiste André Heller, à l’origine du jardin Anima, qui marie nature et sculptures dans une ancienne roseraie.

Chez lui, ça ressemble à une kasbah avec une « maison » où travailler, une « maison » où converser, une autre où manger, une autre encore où rêver et un salon ouvert aux quatre vents avec vue sur les glaces de l’Atlas.

En apprenant que je suis Montréalaise, il montre du doigt le mur où il a accroché un drapeau noir, l’an dernier, lors du décès de Leonard Cohen… Comme chantait Beau Dommage, « c’est ben assez pour se faire aimer » !

« Je viens au Maroc tous les ans depuis 1972 et j’y suis toujours une meilleure personne, dit mon hôte. Il est difficile d’être son meilleur ami, de s’aimer, de se respecter… » Ici, il se lève tous les matins en se disant : félicitations, mein Freund !

Blague à part, pour l’ex-chanteur/artiste circadien/ producteur d’événements, le Maroc est surtout le pays de l’inspiration.

Photo: Studio KO Un rendu du musée Yves Saint Laurent Marrakech, signé Studio KO

Il en veut pour preuve le talent de ses artisans et la qualité des tissages, de la poterie, des zelliges. « Bien sûr, il y a des problèmes ici, il y a de la pauvreté, mais je trouve que les gens sont toujours prêts à bien faire les choses. »

Cette disposition lui a notamment inspiré Anima, trois hectares qu’il voulait synonymes de beauté, de sensualité et de guérison.

« Il y a des gens qui pleurent dans mon jardin, ajoute-t-il. Sans doute parce que nous avons besoin d’endroits où réfléchir et être honnête avec nous-même… »

Anima, c’est un lieu à ressentir, un lieu où se reconnecter à soi-même et où s’aimer, pourquoi pas !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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