La peau de l’ours

Le gouvernement Trudeau s’est dit surpris par les hauts cris que le budget Morneau a fait pousser à Québec, où on espérait plus de précision sur le financement des infrastructures de transport en commun. Le premier ministre canadien a accusé son homologue québécois de jouer un « jeu » politique. Comme si cela était anormal pour un politicien !

Depuis son élection, M. Trudeau a lui-même démontré de grandes aptitudes à ce jeu. Le gouvernement Couillard a appris à ses dépens qu’une saine méfiance est de mise. Il avait apparemment été averti 24 heures à l’avance que le budget ne contiendrait pas d’engagement formel, mais qu’Ottawa serait disposé à investir plus d’un milliard, via la future Banque d’infrastructures, dans le projet de Réseau électrique métropolitain (REM) piloté par la Caisse de dépôt.

On peut néanmoins comprendre M. Couillard d’avoir tiqué, jeudi, en entendant son vis-à-vis canadien déclarer que « ce n’est pas à Ottawa de déterminer quel sera le projet final, le projet prioritaire ». Pourquoi M. Trudeau parlait-il d’un projet au singulier, alors que Québec a toujours été très clair sur son désir de voir le gouvernement fédéral contribuer non seulement au financement du REM, mais aussi à celui du prolongement de la ligne bleue du métro et au SRB à Québec. Le français de M. Trudeau a beau être très approximatif, il est quand même capable de compter jusqu’à trois.

 

Vendredi, M. Trudeau semblait animé d’un nouvel enthousiasme pour ces projets et M. Couillard ne demandait pas mieux que de paraître rassuré, mais il serait prématuré de vendre la peau de l’ours tant qu’on ne connaîtra pas les coûts définitifs et le niveau de la participation fédérale. Comme chacun le sait, le diable se cache dans les détails.

Durant la campagne électorale de 2015, M. Trudeau avait très clairement laissé entendre que son gouvernement serait plus généreux que celui de Stephen Harper dans le financement des soins de santé, mais les conditions qui ont été imposées aux provinces prévoient exactement la même augmentation de 3 % du Transfert canadien en santé (TCS) que celle décrétée par le gouvernement conservateur.

Le dossier de la Série C a constitué une autre déception amère pour le gouvernement Couillard. L’aide qu’Ottawa a apportée in extremis à Bombardier était si modeste qu’elle en était presque insultante, quand on la compare aux milliards qui ont été engloutis dans l’industrie automobile ontarienne et le pétrole de l’Ouest.

Les propos de Pierre Moreau, qui a déploré la passivité des élus québécois à la Chambre des communes, traduisaient bien la déconvenue du gouvernement Couillard, qui s’était imaginé que les choses changeraient à Ottawa avec le retour des grands frères fédéraux.

La plupart sont des novices qui ne pèsent pas lourd au conseil des ministres et il n’y a pas l’équivalent d’un Jean Pelletier dans l’entourage de M. Trudeau. L’absence d’un lieutenant québécois ayant l’oreille du premier ministre ne facilite pas non plus la communication entre les deux capitales. Finalement, la voix de Québec inc. semble complètement enterrée par celle de Bay Street.

 

Jean-François Lisée reproche à M. Couillard d’être lui-même responsable du faible rapport de force dont le Québec bénéficie face à Ottawa. Il est vrai qu’à entendre le premier ministre québécois répéter que l’indépendance serait une véritable catastrophe, le gouvernement Trudeau ne ressent aucune obligation de démontrer les avantages du fédéralisme. Jean Charest avait beau être un ardent Canadien, il reconnaissait au moins qu’un Québec indépendant serait économiquement viable.

M. Couillard répugne à recourir à la stratégie que le politologue Léon Dion qualifiait un peu crûment de « couteau sous la gorge », mais il demeure que les plus importantes concessions faites au Québec au cours des dernières décennies ont été motivées par le souci de préserver l’unité canadienne.

Encore faut-il que la menace soit minimalement crédible. Un gouvernement péquiste pourrait-il réellement faire mieux alors que la souveraineté recueille l’appui d’à peine un Québécois sur trois ? Si M. Lisée a décidé de reporter la tenue d’un nouveau référendum, c’est évidemment parce qu’il sait très bien que les Québécois n’en veulent pas. À Ottawa, on le sait aussi.

Il y a seize ans, Lucien Bouchard a décidé de jeter l’éponge quand il s’est rendu compte que les Québécois ne réagissaient plus aux vexations d’Ottawa. Depuis ce temps, le rapport de force du Québec est allé en s’affaiblissant et la baisse de son poids démographique dans l’ensemble canadien ne peut qu’accentuer cette tendance.

À l’élection du 19 octobre 2015, le PLC a remporté deux fois plus de sièges en Ontario qu’au Québec. Il n’est pas nécessaire d’être un grand stratège pour comprendre où le gouvernement Trudeau a intérêt à distribuer ses largesses. C’est ce qu’on lui fera valoir quand viendra le temps de décider où installer la Banque d’infrastructures, si ce n’est déjà fait.

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