Tricher au golf

Donald Trump triche-t-il au golf ? La question risque de paraître frivole ; on pourrait craindre pire d’un homme manifestement instable en possession des codes nucléaires. Toutefois, je pense qu’elle est essentielle pour comprendre la mentalité du nouveau président et évaluer sa capacité de tenir ses promesses de campagne, ou du moins de respecter ses slogans.

Le « Donald » est d’abord et avant tout un joueur — joueur sur les marchés immobiliers et financiers, mais aussi sur les terrains verts des clubs des banlieues huppées de New York, du New Jersey et de la Floride. Il est fier de ses prouesses dans ces deux domaines, où il se présente sans exception comme un gagnant. En tant que vendeur-entrepreneur, le grand homme a vraiment intérêt à se déclarer vainqueur à tout prix et à toute heure.

Au début de la campagne présidentielle, en septembre 2015, le Washington Post a enquêté sur le sujet avec un ton ironique. À l’époque, personne ne croyait à une présidence Trump, donc on pouvait se permettre des jeux d’esprit sans les prendre trop au sérieux. Le journaliste du Post, Ben Terris, a fait un bel effort — du rocker Alice Cooper au journaliste de sport Rick Reilly, nombreux sont ceux qui ont accusé Trump de tricherie dans des parties de golf. Comme d’habitude, Trump a répondu par des injures : Reilly est un « très mauvais écrivain… malhonnête », qu’il avait « totalement massacré » dans leur compétition. Par ailleurs, un autre témoin, Mark Mulvoy, ancien rédacteur adjoint de Sports Illustrated, a été également traité de menteur : « Je ne le connais même pas. » Selon Mulvoy, Trump avait présenté ses excuses durant leur match : « Les mecs avec lesquels je joue trichent tout le temps. Je dois tricher juste pour rester à égalité. »

Les histoires racontées dans le Post le sont toutes dans un contexte bon enfant. Selon ma source, cependant, il arrive que Trump mise de l’argent sur ses parties de golf, et c’est là que ses prédilections sportives deviennent plus pertinentes pour l’électorat américain. Mon informateur est un homme d’affaires de New York, auparavant dans l’industrie du vêtement et aujourd’hui dans la finance. Rencontré à bord d’un vol à destination de Miami, le monsieur s’est montré très intéressé par mon travail de journaliste, et donc la conversation a tourné vers Trump, alors à une semaine de son investiture. « C’est un très mauvais type », a-t-il déclaré. Sur le coup, je pensais qu’il parlait d’une corruption financière, ou d’une méchanceté commise contre un ami. Mais non. « Il triche au golf », m’a-t-il dit gravement, un péché apparemment impardonnable dans le milieu. Mon voisin de vol appartient à un club prestigieux de Purchase, dans la banlieue nord de New York, où il avait invité Trump. « Trump a fait un coup dérouté dans l’herbe longue et il est allé chercher la balle dans sa voiturette », hors de vue de son hôte. S’avançant vers le trou après son propre coup, mon voisin a retrouvé Trump avec sa balle miraculeusement revenue sur l’allée.

Trump a ainsi fait son coup d’approche comme si de rien n’était et, plus important, sans nuire à sa carte de pointage. Trop poli pour affronter son célèbre invité, mon voisin a conservé son sang-froid. Mais il y a un prix à cette histoire : les deux hommes avaient misé 500 $ sur le match, et mon voisin a fini par payer sans dire un mot. Plus tard, il a néanmoins décrit le scénario frauduleux à un ami. « Tu as de la chance », a commenté ce dernier. « Trump m’a fait le même coup, mais cela m’a coûté 10 000 $, car je ne pouvais pas prouver qu’il avait triché. » Donc pas moyen pour ce gentleman des verts de faire autrement. Ma source a revendiqué l’anonymat.

Évidemment, les petites gens désespérés qui ont misé sur Trump ne se retrouveront jamais avec le président sur ses parcours de golf à Mar-a-Lago, en Floride, ou à Bedminster, au New Jersey. Or, le milliardaire exploiteur de la main-d’oeuvre sans papiers, converti soudain en champion des victimes américaines de l’ALENA et de la « normalisation » des échanges avec la Chine, n’est pas convaincant lorsqu’il promet une nouvelle donne. Si Trump triche au golf, il fera de même en politique. Voilà déjà la police de Chicago qui proteste contre le manque d’aide fédérale pour lutter contre le taux élevé de meurtres — sujet martelé sans fin par Trump. Voilà déjà un retour de la politique étrangère d’Obama-Clinton, alors que le candidat Trump avait promis la rupture. La stupide et inutile intervention militaire au Proche-Orient continue et a procuré au nouveau gouvernement son premier martyr, le soldat des Navy Seals William « Ryan » Owens.

Et la renégociation de l’ALENA ? Ayant attaqué le président mexicain au sujet du mur, Trump a pour l’instant reporté cette réforme prétendument primordiale.

Et alors. On dit que, malgré ses tricheries, Trump fait un très bon compagnon de golf. Ce sont les petites gens qui paieront à la fin, comme d’habitude.

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