La lutte des classes

Il est bon d’avoir le sentiment qu’il peut y avoir une justice en ce monde et que la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure. C’est ce que plusieurs ont dû penser en apprenant que Sainte-Marie–Saint-Jacques échappera finalement au couperet de la Commission de la représentation électorale (CRE).

Il y a des débats qui prennent parfois des allures de lutte des classes. Cela avait été le cas il y a une douzaine d’années, quand il avait fallu trancher sur l’emplacement du nouveau CHUM. Le site de la gare de triage du Canadien Pacifique, à Outremont, qui avait la faveur du premier ministre Charest, était présenté comme le choix des possédants, représentés par la famille Desmarais, à laquelle on prêtait de sombres arrière-pensées mercantiles.

Le site de l’hôpital Saint-Luc, dans le centre-ville, qui a finalement été choisi, était défendu bec et ongles par Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, la Direction de la santé publique, les syndicats, les organismes communautaires et le PQ, qui ne pouvaient évidemment avoir que de nobles motivations.

Au cours du dernier mois, le débat sur le redécoupage de la carte électorale est devenu tout aussi manichéen. Allait-on préserver l’intégrité de ces châteaux forts de la bonne bourgeoisie et du PLQ que sont Outremont et Mont-Royal ou cette « communauté naturelle » des déshérités et des marginaux qu’on retrouve dans le Centre-Sud ?

Cette victoire du « monde ordinaire » est aussi celle de Manon Massé, et elle est de taille. Dans un style bien différent, elle assurait déjà brillamment la relève de Françoise David à l’Assemblée nationale. Elle devient maintenant une véritable héroïne. On peut parier que la prochaine élection sera beaucoup moins serrée dans Sainte-Marie–Saint-Jacques. On peut aussi imaginer le redoutable tandem que Mme Massé pourrait former avec Gabriel Nadeau-Dubois.

 

Après le rejet de la demande d’injonction de deux militants de QS et le refus du gouvernement Couillard d’appuyer le projet de loi qui aurait permis de nouvelles consultations, les carottes semblaient cuites. Si la CRE voulait faire la démonstration qu’elle n’est pas à la solde de ce dernier, c’est parfaitement réussi.

Le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, et la ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Rita de Santis, font figure d’arroseurs arrosés dans cette histoire. Quand la CRE avait d’abord annoncé la disparition de Sainte-Marie–Saint-Jacques, ils avaient invoqué la nécessité de respecter son indépendance. Ils seraient aujourd’hui bien malvenus d’intervenir, maintenant que les choses ont tourné au désavantage du PLQ, qui avait pourtant mis le paquet pour éviter la fusion d’Outremont et de Mont-Royal.

Ni le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand (Mont-Royal), ni sa collègue de l’Enseignement supérieur, Hélène David (Outremont), n’ont voulu faire des conjectures sur leur avenir personnel, mais une rumeur voulait déjà que le premier ne sollicite pas le renouvellement de son mandat en octobre 2018. Cela laisserait à Mme David tout le loisir de se représenter dans la nouvelle circonscription issue de la fusion.

Dans le cas de Saint-Maurice, qui disparaîtra également, la perte libérale est toute relative. Le 7 avril 2014, Pierre Giguère l’avait emporté avec seulement 653 voix de majorité sur le candidat péquiste. Lors des quatre élections précédentes, la victoire était allée soit au PQ, soit à la défunte ADQ.

Le maire Coderre, qui devait bien prêcher pour sa paroisse, a jugé « inacceptable » que Montréal perde une circonscription et subisse ainsi une diminution de son poids politique. On ne peut cependant pas dire qu’il y a péril en la demeure. 12 des 26 membres actuels du Conseil des ministres ont été élus sur l’île de Montréal. Si on inclut Laval et la Rive-Sud, ce nombre grimpe à 15.

 

Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, le conseiller municipal du district de Snowdon, Marvin Rotrand, a dénoncé la « dilution » de la représentation de la communauté anglophone à l’Assemblée nationale. Selon lui, il aurait été plus équitable d’éliminer une circonscription « sous-peuplée », que ce soit en Abitibi-Témiscamingue ou dans le Bas-Saint- Laurent. De leur côté, les communautés juives hassidiques d’Outremont craignent d’être « divisées » par les nouvelles délimitations.

On ne peut contenter tout le monde et son père. En 2010, le Directeur général des élections, de qui relève la CRE, avait précisément proposé d’éliminer des circonscriptions en région, où la population était en baisse. Mal lui en prit. Libéraux et péquistes lui étaient tombés dessus à bras raccourcis, l’accusant de « trahison » envers les sacro-saintes régions.

Depuis des années, tout le monde répète que la solution réside dans la réforme du mode de scrutin. Si le passé est garant de l’avenir, il est malheureusement à prévoir que la prochaine révision de la carte électorale donnera lieu à un nouveau psychodrame.

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