Juristes au service de l’État

Les juristes de l’État sont avant tout au service du public, pas au service du gouvernement. Il leur incombe de s’assurer que les instances étatiques fonctionnent dans le respect des lois et des règles constitutionnelles, ce qui inclut le souci de respecter les droits fondamentaux des citoyens. Le public compte pour cela sur leur capacité d’aviser et d’agir en toute indépendance pour garantir la conformité au droit des décisions prises par l’administration gouvernementale.

Les normes déontologiques régissant le travail professionnel des avocats et des notaires leur imposent d’accomplir leurs mandats avec rigueur, en respectant la loi. Mais dans une logique gestionnaire, le juriste de l’État est un employé. Il est soumis avant tout à l’autorité hiérarchique des dirigeants en place.

Dans une pareille situation, le professionnel du droit est placé devant l’obligation de concilier ses obligations professionnelles avec les demandes de son supérieur hiérarchique. S’il s’avère que les demandes de l’autorité hiérarchique l’amènent à ignorer la loi, le professionnel du droit se retrouve devant l’obligation de choisir entre son emploi et le respect de ses obligations professionnelles. Voilà ce qui fonde les revendications en faveur de mesures afin de garantir l’indépendance des juristes de l’État.

Logique gestionnaire et État de droit

 

La situation des juristes de l’État vient illustrer la contradiction grandissante entre les logiques managériales — qui postulent que les avocats et notaires de l’État, comme les autres salariés, sont simplement des préposés aux ordres de leurs supérieurs hiérarchiques — et les exigences d’indépendance inhérentes au travail des professionnels régis par des normes déontologiques découlant des lois professionnelles.

L’État n’est pas un appareil dévoué aux désirs arbitraires des dirigeants politiques du jour. Il appartient au public, qui a le droit à un fonctionnement conforme des instances gouvernementales aux lois et aux droits fondamentaux. Les débats sur l’indépendance professionnelle des juristes de l’État reflètent le changement de la place prise par les normativités gestionnaires par rapport aux principes inhérents à l’État de droit. Cela illustre l’ampleur des défis d’assurer la conformité de l’action étatique aux impératifs de l’État de droit.

Lorsque le raisonnement managérial gouverne l’action publique, les processus d’élaboration des décisions ne reposent pas a priori sur la prise en considération des exigences de la conformité à la loi, aux valeurs associées aux droits fondamentaux. Les discours axés sur les prétentions à l’efficacité l’emportent sur le souci de mettre en place des mesures qui respectent la lettre et l’esprit de la loi.

La mission des juristes

 

Tant mieux si les décisions issues des raisonnements informés par les préceptes managériaux correspondent à l’État de droit. Dans le cas contraire, ce sont les juristes qui ont mission d’alerter les décideurs des risques qui peuvent découler de décisions incompatibles avec les lois. Mais pour certains, devant les limites imposées par les lois, il convient d’agir « efficacement » quitte à ignorer puis éventuellement changer tout simplement la loi. Et lorsque changer la loi n’est pas possible, il reste à imaginer des stratégies afin de donner l’impression qu’on agit dans le respect des droits !

Au contraire, le respect de l’État de droit postule l’autorité des principes juridiques sur les normativités gestionnaires. Dans la hiérarchie des normes selon la conception classique de l’État de droit, la normativité découlant de la Constitution et de la Loi prévaut nécessairement sur les impératifs de gestion.

Dans un État régi par le respect de la loi, on reconnaît l’importance d’assurer que les lois et règlements soient élaborés selon des processus appropriés. La légitimité des décisions gouvernementales découle de leur conformité à des processus prédéfinis par la loi ou la Constitution. Dans une telle logique, le respect de l’autonomie professionnelle de celles et ceux qui ont mission de garantir la conformité des décisions publiques à l’État de droit est un enjeu central.

À bien des égards, par-delà les enjeux de relations de travail, le conflit entre l’État québécois et ses juristes illustre les conséquences des logiques gestionnaires sur les équilibres démocratiques. Lorsque les logiques gestionnaires prennent toute la place au point de supplanter les impératifs de respect de l’État de droit, on risque de considérer que changer les lois n’est rien de plus qu’une banale opération technique de rédaction. Pour cela, des préposés dociles feront très bien l’affaire !

Alors, la seule légitimité qui reste est celle émanant des décisions de gestion prises par ceux qui ont été élus, comme si l’élection constituait en soi la seule source de conformité à l’État de droit. On se rapproche alors d’un régime autoritaire.

Le conflit illustre les conséquences des logiques gestionnaires sur l’équilibre démocratique.

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