De la parole aux actes
La dernière directive du département de la Sécurité intérieure des États-Unis a de quoi faire frissonner. Le président Donald Trump a annoncé un renforcement de l’étanchéité des frontières américaines avec des mesures facilitant l’expulsion des sans-papiers. Les agents d’immigration héritent de pouvoirs d’arrestation qui fragilisent davantage la situation des demandeurs d’asile. Tandis qu’une nouvelle page dans l’histoire de l’intolérance est en train de s’écrire chez nos voisins du Sud, les élus de Montréal ont emprunté courageusement le chemin inverse, soit celui de la solidarité, en votant unanimement pour le principe d’une ville sanctuaire.
La vie d’une personne sans papiers n’a rien de réjouissant. Elle a quitté un pays en guerre ou répressif. Sa demande d’asile a souvent été rejetée. Elle devient un clandestin pour échapper à un destin mortifère. Elle vit dans la peur d’être arrêtée et renvoyée dans son pays d’origine, ce qui peut la piéger dans des cycles d’exploitation et de violence. Ce n’est pas dans un pays d’accueil qu’elle vit, mais plutôt dans un pays aux mille écueils. Ainsi, pour éviter d’avoir à présenter des papiers qu’elles n’ont pas et risquer ainsi l’expulsion, les personnes sans papiers fuient les événements publics, voire tout contact avec les institutions publiques, y compris avec les autorités médicales et scolaires.
Villes sanctuaires
Devant ces réalités, plusieurs villes américaines et canadiennes, dont Toronto et Hamilton, se sont déclarées villes sanctuaires. Le principe est important, même si la mise en oeuvre demeure à l’état expérimental. L’idée est de composer avec une réalité qu’on ne peut plus ignorer. Mais on est encore loin d’avoir abouti à une recette éprouvée.
Une étude canadienne vient tout juste de conclure que Toronto, première ville canadienne déclarée sanctuaire il y a quatre ans, n’est « pas vraiment une ville sanctuaire ». Les auteurs de l’étude, des criminologues de l’Université Ryerson, estiment que les sans-papiers y vivent encore dans la peur et que l’initiative municipale n’est qu’à l’étape d’un projet-pilote. Les raisons ? La Ville n’y aurait pas consacré le leadership, la planification, la formation et les fonds nécessaires.
Un autre rapport ontarien publié en 2015 critiquait l’application inconstante par la police de Toronto de la directive du « Don’t ask, don’t tell », une mesure universelle par laquelle les autorités policières ne peuvent réclamer les papiers de la personne qu’elles interpellent. Pourtant, les chercheurs ont constaté, durant les huit mois de leur étude, que la police locale avait contacté les agences de services frontaliers à plus de 3300 reprises et que 83,4 % de ces appels avaient pour but de vérifier le statut d’immigration des personnes arrêtées.
Solutions porteuses
L’expérience torontoise, mais d’autres également, met la puce à l’oreille : si une déclaration d’un conseil municipal envoie un puissant signal de solidarité, le plus difficile reste à faire pour aller au-delà des symboles. Collectivement, on doit encore inventer des solutions porteuses.
Dans le cadre politico-juridique qui est le nôtre, la bonne volonté des élus municipaux ne suffira pas. Les champs de compétence des villes étant limités presque à un niveau administratif, ces dernières ne possèdent pas tous les outils nécessaires pour assurer à elles seules la sécurité des sans-papiers. Notamment, il sera difficile de contraindre les pouvoirs policiers à appliquer cette politique pourtant nécessaire à la sécurité publique.
Le gouvernement provincial a un travail de concertation des services de santé et d’éducation à faire. Et le gouvernement fédéral a aussi une responsabilité dans la documentation des réalités des personnes sans papiers afin de régulariser leur statut. Aussi bien dire que le succès des villes sanctuaires dépend de la volonté politique coordonnée des trois ordres de gouvernement. Les défis ne peuvent être sous-estimés, y compris la résistance des citoyens inquiets à qui les politiciens et les médias doivent bien expliquer le phénomène des sans-papiers.
En 1983, l’église unie St. Andrew de Montréal offrait un refuge à une femme de 23 ans du Guatémala. Cet endroit fut par la suite déclaré lieu sanctuaire par un réseau oecuménique. C’était une première au Canada. Depuis, de nombreux centres communautaires, écoles et hôpitaux appliquent secrètement le principe du « Don’t ask, don’t tell », encore considéré comme de la désobéissance civile dans la majorité des villes de notre pays, pour protéger des personnes migrantes contre les expulsions. Aujourd’hui, Montréal a l’occasion de marcher sur les traces de ces pionniers de la solidarité.