Longue route devant

Sept ans de négociations et « un pavé de 2344 pages » plus tard, la route devant s’annonce longue et cahoteuse pour l’AECG. Et ceux qui voient dans le vote du Parlement européen autre chose qu’une simple formalité, voire une réplique musclée à la montée en puissance du protectionnisme, s’exposent à des lendemains qui déchantent.

Pour le premier ministre Philippe Couillard, le vote du Parlement européen ratifiant l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne démontre que le populisme et ses « fausses solutions » ne sont pas la voie à suivre. Le ministre canadien du Commerce international, François-Philippe Champagne, y voit un puissant message. « C’est le bon accord au bon moment. Je pense qu’aujourd’hui on a démontré que la voix du commerce ouvert, la voix du commerce inclusif, existe, et qu’elle est forte », a-t-il déclaré à La Presse canadienne.

« Et je pense que ceux qui lèvent les boucliers du protectionnisme seront confrontés à des choix difficiles, parce que cet accord favorise la croissance et les emplois », a-t-il renchéri.

Les propos plus justes sont toutefois venus de l’Europe. « Nous avons 38 nouvelles chances de stopper cet accord », disent les détracteurs de l’AECG. Pour Cecilia Malmström, commissaire européenne au Commerce, « dans la grande majorité des pays, il n’y aura aucun problème et dans certains, oui », a-t-elle concédé à l’Agence France-Presse, en demandant aux États membres de « calmer les craintes ».

Certes, le vote des eurodéputés survient alors que les partis populistes sont en forte poussée en Europe, en plein Brexit, et avec un nouveau gouvernement américain préconisant un repli sur soi qui pourrait enfoncer les États-Unis dans l’isolationnisme. Mais il est sans surprise.

L’AECG sera, dès le printemps, en application provisoire pour près de 90 % du traité, soit les domaines de compétences communautaires. Il est cependant rappelé que l’accord doit être entériné par les 38 Parlements régionaux et nationaux, une affaire de quelques années. Répondant à une question de Libération, Marianne Dony, présidente de l’Institut d’études européennes de l’Université libre de Bruxelles, est catégorique : « Si un seul État manque à l’appel, le traité ne pourra pas entrer en vigueur, et ce, dans sa totalité, y compris donc les parties relevant de la compétence de l’Union. »

L’AECG fait face à des vents contraires en Autriche, aux Pays-Bas et en France. Dans un sens plus large, l’adhésion sociale au libre-échange s’effrite un peu partout en Europe et ailleurs, même dans les pays largement tournés vers les exportations, comme l’Allemagne. Dans ces trois derniers pays, les gouvernements ont rendez-vous avec l’électorat en 2017.

Craintes persistantes

 

L’expérience de l’application du veto wallon, l’an dernier, n’est pas sans illustrer les difficultés attendant un accord dont les paramètres devront, par surcroît, être revus dans un après-Brexit.

Les craintes européennes demeurent entières, notamment en matière de normes et de sécurité alimentaires, de concurrence agricole, de normes environnementales et climatiques et de souverainetés nationales. Quant aux retombées pour l’Union européenne, des poussières par rapport à un PIB de 14 600 milliards d’euros en 2015. Avec des perspectives de croissance et d’emplois incertaines, les projections officielles sous-tendant l’AECG s’opposant à des études qui, comme celle de l’université américaine Tufts, prévoient des lendemains douloureux sous forme de pertes d’emplois et de décroissance du PIB.

Et si les Européens se servaient de l’AECG pour préparer le terrain à un partenariat transatlantique plus ambitieux avec les Américains, la motivation n’y est plus avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Sans oublier que le principal irritant, le mécanisme d’arbitrage et de règlement des différends, reste aussi entier qu’asymétrique, ou à sens unique. Selon les divers avis juridiques recueillis par Le Monde et Libération, le Système judiciaire sur l’investissement pourrait se heurter aux compétences des instances déjà en place, dont la Cour de justice de l’Union européenne, ou être inconstitutionnel.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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