La pasionaria
En fixant au 22 avril le choix de son nouveau chef, le Bloc québécois a choisi de couronner Martine Ouellet. Personne ne sera en mesure de lui faire une lutte digne de ce nom dans un délai aussi court.
Il ne fait aucun doute que Mme Ouellet, qui ne passe jamais inaperçue, redonnera au Bloc une visibilité médiatique qu’il n’a pas eue depuis l’époque de Gilles Duceppe. Les prochaines élections fédérales sont encore loin, mais la conjoncture pourrait bien se révéler favorable. L’étoile de Justin Trudeau commence à pâlir sérieusement, et ni le Parti conservateur ni le NPD ne semblent vouloir élire un chef auquel les Québécois pourraient s’identifier.
Dans l’immédiat, c’est toutefois sur la dynamique interne du mouvement souverainiste que son arrivée au Bloc pourrait avoir le plus d’impact. Ceux qui ont ouvert la voie à son couronnement, en commençant par l’ancien chef bloquiste, Mario Beaulieu, font clairement partie de la mouvance « pure et dure » à qui Jean-François Lisée n’inspire pas une grande confiance.
En élisant M. Lisée, les membres du PQ ont clairement signifié leur adhésion au nouvel étapisme qu’il préconisait. Proposer de reporter la tenue d’un référendum à un deuxième mandat semblait presque suicidaire au départ, mais les militants ont fait preuve d’un pragmatisme auquel ils ne nous avaient pas habitués.
Les 16 % de voix obtenues par Martine Ouellet au premier tour ont montré que les « pressés » sont très minoritaires, mais le PQ a démontré, depuis sa fondation, qu’une minorité peut y être extrêmement dérangeante. À des degrés divers, tous les chefs péquistes en ont fait l’expérience.
La « proposition principale », qui est appelée à remplacer le programme adopté en avril 2011, n’a pas été débattue au conseil national du mois dernier. Elle cheminera dans les instances locales et régionales du parti au cours des prochains mois, en attendant que les délégués au congrès de septembre en disposent.
Un des impatients les plus en vue, Pierre Dubuc, candidat du SPQ Libre à la course à la chefferie de 2005 et directeur du L’aut’journal, a fait savoir la semaine dernière tout le mal qu’il pense de la « proposition principale ». Intitulé « Un programme sans aventure », son éditorial déplore que le PQ renvoie le référendum aux calendes grecques au moment où la faillite de la mondialisation et des institutions supranationales va remettre la question nationale à l’avant-scène de l’histoire.
« Aux indépendantistes de s’y préparer en refusant de se laisser engluer dans la gestion provincialiste et en se regroupant au sein du Bloc québécois, avec une chef qui garde le cap sur la grande aventure où nous ne serons plus que de simples figurants, mais des acteurs de l’histoire », écrit-il.
Durant la dernière course à la chefferie, Martine Ouellet n’a cessé de reprocher à ses adversaires et à l’ensemble du caucus péquiste ce même provincialisme que M. Dubuc reproche aujourd’hui à la « proposition principale ».
Mario Beaulieu a été tout aussi critique des récentes propositions de M. Lisée en matière de langue, qu’il juge nettement insuffisantes pour assurer la protection du français. Durant la course, Mme Ouellet se disait également prête à aller beaucoup plus loin, y compris à utiliser la disposition de dérogation pour revenir à l’affichage commercial unilingue français, qui avait été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême.
Elle s’entête à ne voir aucun problème à diriger le Bloc tout en siégeant à l’Assemblée nationale, malgré des avis aussi autorisés que celui de Gilles Duceppe et du doyen de l’Assemblée nationale, François Gendron. M. Lisée lui-même trouve l’idée mauvaise et suggère au Bloc de trouver une autre façon de rémunérer sa future chef.
Le commissaire à l’éthique a averti Mme Ouellet que « les risques de conflits dans l’exercice de ces deux fonctions sont sérieux ». On peut imaginer la difficulté pour le Bloc québécois de défendre les positions du gouvernement Couillard à Ottawa, pendant que Mme Ouellet les critiquerait à Québec.
Sous la direction de la nouvelle pasionaria de l’indépendance, le Bloc doit-il devenir au surplus une sorte d’opposition au PQ au sein du mouvement souverainiste ? Il y a déjà eu des divergences entre les deux partis, mais elles ne semblaient pas aussi fondamentales. Faudra-t-il entreprendre des discussions sur la « convergence » avec le Bloc aussi ?
Dans le débat sur le référendum, M. Lisée a toutefois reçu un appui inattendu de Bernard Landry. L’ancien premier ministre n’a pas toujours fait partie des admirateurs du nouveau chef péquiste, mais il reconnaît son talent et estime qu’il « peut rendre de grands services à la cause ». Non seulement il ne se formalise pas d’un report à un deuxième mandat, mais il suggère même d’attendre à un troisième ! Entre l’empressement de Mme Ouellet et l’ultra-étapisme de M. Landry, M. Lisée pourra toujours prétendre incarner le juste milieu.