À nouveau monde, nouveaux touristes

La Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion (ESG-UQAM) a présenté récemment le portrait-robot du voyageur de demain, en collaboration avec Tourisme Montréal. Bonne nouvelle : selon Pierre Bellerose, vice-président, développement du produit chez cette dernière entité, Montréal saura séduire ce voyageur nouveau genre.
Nul besoin de consulter Mme Fabiola extralucide pour dégager le profil du voyageur des prochaines décennies : études et statistiques parlent d’elles-mêmes quand on sait les analyser.
C’est d’ailleurs à une conférence extrêmement bien documentée que nous avaient conviés il y a deux semaines Paul Arseneault, titulaire de la Chaire, et Pierre Bellerose, à l’occasion de leur « Gueuleton touristique » annuel.
De fait, il y avait là de quoi se mettre sous la dent. Tensions géopolitiques mondiales, périls environnementaux, nouvelle donne démographique, nouveaux flux migratoires, urbanisation de la planète, réduction de la pauvreté dans les pays en développement, invasion technologique, fragmentation des marchés, sans compter les enjeux de sécurité, terriblement d’actualité : tout cela façonnera un monde nouveau duquel émergera un touriste nouveau.
Qui sera-t-il ? Quelles seront ses attentes ? Selon l’analyse des conférenciers, le touriste de demain sera plus libre, confiant en lui-même, spontané et proactif face aux questions éthiques (vive le geste local !) que nous le sommes.
Ce voyageur sera également parfaitement autonome et connecté. Et, en conséquence, prévisible au-delà de sa propre conscience, car scruté en permanence. Remarquez que Big Brother est déjà à l’oeuvre via le Big Data… Ne suffit-il pas aujourd’hui de googler « Buenos Aires » pour qu’un algoritme prenne l’initiative de nous suggérer un hôtel et deux restaurants lors de nos navigations Web subséquentes ?
Toujours selon l’analyse du tandem, le voyage sera, pour ce touriste nouveau, une activité nécessaire. Déjà, les « milléniaux » envisagent le voyage comme « un droit et non une récompense ». Valorisant le nomadisme, ils n’auraient d’ailleurs aucune envie d’être propriétaires. Vendeurs de piscines, prenez note !
Enfin, pour ce touriste nouveau, sera surtout mémorable ce qui est rare et éphémère. Il risque d’être bien servi au rayon nature car dans le monde où il vivra, l’accès aux espaces naturels pourrait bien devenir un luxe.
Quant à Montréal…
La nouvelle ère étatsunienne qui s’annonce sous le signe du repli sur soi, du protectionnisme et de tensions avec la Chine et le Mexique, aura des impacts touristiques réels, mais pour Pierre Bellerose, ce contexte est favorable pour Montréal.

« Il y aura certainement des parts de marché à saisir, dit-il en entrevue. Ici, il n’y a pas d’enjeux de sécurité [croisons les doigts, à la suite du récent attentat de Québec…], notre marque de commerce étant nos événements grand public gratuits. Et à cause de notre image positive, on pourra tirer notre épingle du jeu auprès des marchés émergents comme la Chine. Il y a deux nouveaux vols vers Shanghai au départ de Montréal en février, et ils vont se multiplier. »
Le touriste qui visitera Montréal demain sera plus international qu’il ne l’est présentement, soutient également le vice-président. Les gens qui nous rendent visite (10,2 millions l’an dernier) proviennent à 86 % du nord-est des États-Unis et de l’Ontario.
Intelligible avant d’être intelligente
À Montréal, le touriste de demain désirera vivre des expériences authentiques. « Il voudra toujours voir les grands attraits de la ville, le point de vue du haut de la montagne, le Vieux-Montréal et le musée Pointe-à-Callière pour comprendre notre histoire, mais il souhaitera aussi vivre des expériences locales avec le monde d’ici », dit Pierre Bellerose.
Il voudra avant tout découvrir des quartiers. « On travaille donc avec les associations de commerçants de Montréal, les petites institutions culturelles. […] L’idée, c’est de faire vivre aux touristes des expériences véritables dans des endroits où vont les Montréalais. C’est déjà commencé, et ça prendra plus d’expansion. »

Au cours de la conférence, Paul Arseneault a notamment rappelé « l’importance de rendre la ville intelligible pour le visiteur avant de la rendre intelligente ».
Pour Pierre Bellerose, cela signifie donner aux touristes « les clés de la compréhension de Montréal ».
« Il ne faut plus, dit-il, que la ville se résume à une série de musts, à une liste de choses à voir, à faire. »
Toujours est-il que, pour comprendre quoi que ce soit, il faut d’abord s’abreuver à des sources d’information de qualité et diversifiées.
Or, demain, ou plutôt après-demain, lorsque les canaux d’information, devenus « personnalisés », seront carrément sous l’emprise d’algoritmes qui ne nous relayeront plus que ce qu’ils estiment bon que nous lisions, voyions et entendions, notre monde sera alors drôlement rapetissé. Le Cookie Monster n’étant plus ce qu’il était, soyons d’ores et déjà vigilants…