L’appel aux armes

Depuis le temps qu’il se mêle de négociations, Gaétan Barrette n’a pas été habitué à jouer le rôle du dindon de la farce, mais il y a toujours une première fois.

Jusqu’à la conférence des ministres des Finances et de la Santé, le mois dernier à Ottawa, M. Barrette jouait des mécaniques, se faisant fort de faire plier Ottawa devant le front commun des provinces qui réclamaient le maintien du transfert canadien en santé (TCS) au niveau où Paul Martin l’avait fixé en 2004.

Au lieu de quoi, il a eu droit à un visionnement en accéléré du scénario auquel on a assisté à répétition depuis des décennies, à l’issue duquel le Québec s’est généralement retrouvé Gros Jean comme devant. Bienvenue dans le merveilleux monde des relations fédérales-provinciales canadiennes, Monsieur le Ministre !

Quand un communiqué du gouvernement du Nouveau-Brunswick, diffusé à peine quelques heures après la fin de la conférence d’Ottawa, a annoncé que des discussions bilatérales avaient été entreprises, M. Barrette a crié à une rumeur lancée par le gouvernement fédéral pour diviser les provinces.

C’était malheureusement la triste vérité. Dès lors, l’effritement du front a été foudroyant. Quelques jours après que le Nouveau-Brunswick se fut entendu avec Ottawa, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve lui emboîtaient le pas. Lundi dernier, c’était au tour des trois territoires. Mardi, c’était celui de la Saskatchewan. Cela en fait 7 sur 13. Qui sera le suivant ? Il est vrai que les provinces récalcitrantes représentent une très nette majorité de la population canadienne, mais il est facile d’imaginer les efforts qu’on déploie actuellement à Ottawa pour en débaucher une autre.

 

Les petites provinces sont plus vulnérables aux pressions fédérales, mais le fond du problème est qu’aux yeux du Canada anglais, le « vrai » gouvernement est à Ottawa et que la population lui reconnaît le droit, sinon le devoir, de fixer des normes et des objectifs communs à l’ensemble du pays, peu importe ce que peut en dire la Constitution.

Qu’ils soient souverainistes ou fédéralistes, les Québécois se reconnaissaient d’abord et avant tout dans leur État « national », mais ils ont appris à composer avec les querelles fédérales-provinciales comme avec les maringouins.

Quand il a annoncé sa démission, Lucien Bouchard avait expliqué qu’il se sentait impuissant à secouer leur apathie face aux agressions répétées d’Ottawa. Ceux qui rêvent d’un fédéralisme plus « coopératif » se heurtent au même obstacle. La seule différence depuis l’élection de Justin Trudeau est qu’il les envoie promener avec le sourire.

Les appels périodiques au soulèvement contre le « fédéralisme prédateur », comme celui qu’a lancé M. Barrette mercredi, tombent de plus en plus à plat. Cela fait des mois qu’il tempête et accuse Ottawa de vouloir diminuer la qualité des soins, sans que l’opinion publique donne le moindre signe de s’en émouvoir.

 

Il est vrai que M. Barrette n’est peut-être pas la personne idéale pour mobiliser l’opinion publique. Si M. Bouchard en était incapable, on voit mal comment un homme aussi controversé que le ministre de la Santé pourrait y arriver.

Si encore le premier ministre Couillard y mettait un peu du sien. Dès les premières passes entre M. Barrette et sa vis-à-vis fédérale, Jane Philpott, M. Couillard a plutôt minimisé l’affaire. À l’entendre, il ne fallait pas faire trop attention à une rhétorique normale en période de négociations, le bon sens finirait par l’emporter. On a parfois l’impression que son amour immodéré pour le Canada lui fait prendre ses rêves pour la réalité.

Il faut dire que lui-même et son gouvernement font peut-être partie du problème. En 2003, Jean Charest avait promis un « gouvernement de la santé » qui remettrait le réseau sur pied en un tournemain. En Philippe Couillard, il se faisait fort d’avoir trouvé le meilleur ministre de la Santé de l’histoire du Québec.

À son tour, M. Couillard s’est félicité d’avoir trouvé la perle rare, au point de laisser M. Barrette s’arroger des pouvoirs que lui-même n’avait jamais eus. Il est peut-être trop tôt pour apprécier les résultats de ses réformes, mais le réseau ne donne pas l’impression d’avoir trouvé l’efficacité et l’harmonie souhaitées. Dès lors, plusieurs peuvent se demander si Ottawa serait bien avisé de signer un chèque en blanc.

Quel intérêt la population défendrait-elle exactement en répondant à l’appel aux armes de M. Barrette ? L’étude rendue publique plus tôt cette semaine par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques indiquait que les médecins gagnent 7,6 fois le salaire moyen au Québec, alors que ce ratio est de 4 au Royaume-Uni et de 3 en France. Avec un ratio de 4, le Québec disposerait de 4,3 milliards additionnels par année pour investir dans la santé, soit bien plus que ce qu’il réclame d’Ottawa.

À voir en vidéo