Durs temps pour les vieux

N’hésitons pas à le tonitruer de but en blanc : ce fut une semaine pénible pour le bon vieux temps. Il semble qu’il n’y ait plus moyen, messieurs dames, de se claquemurer dans le passé et de se persuader par les bons soins de la méthode Coué que se passaient alors les vraies affaires et que tout ce qui est arrivé depuis n’est que bouillie pour chats.

Tenez, prenez juste lundi soir. Une soirée, ce n’est pas grand-chose dans la formidable histoire de l’humanité, mais il n’en suffit que d’une pour ébranler les cordons du temple, comme chantait le poète. Tout d’abord, Alexander Ovechkin a marqué un but, qui s’adonnait à être le 544e de sa carrière en saison régulière dans la Ligue nationale de hockey. Cela lui a permis de rejoindre Maurice Richard au 29e rang de tous les temps. Tous les temps, il n’est pas inutile d’insister là-dessus. C’est très long, même quand on a de l’agrément ou qu’on tire de l’arrière par 1 alors que les secondes s’égrènent au cadran.

Déjà, la chose était un peu insultante. Car plein d’experts patentés se sont mis à comparer Ovechkin et Richard en disant qu’Ovechkin est meilleur parce qu’il marquera encore plusieurs autres buts et qu’il a gagné six fois le trophée Maurice-Richard, alors que Richard n’a jamais mis la main sur le trophée Alexander Ovechkin. Ovechkin n’a jamais soulevé la Stanley ? Il faut le comprendre : il joue dans une ligue à 30 équipes, tandis que Richard, lui, avait 1 chance sur 6 chaque année.

Mais c’est oublier, évidemment, que des 544 buts du Rocket, la moitié ont été marqués pendant qu’il avait la totalité des joueurs du Boston et du Detroit sur le dos, une deuxième moitié alors qu’un juge de lignes le retenait illégalement et une troisième après avoir déménagé son beau-frère au dernier étage d’un gratte-ciel sans ascenseur. Sans parler de tous ceux qu’il n’a pu marquer parce qu’il était suspendu injustement par Clarence Campbell, un mange-Canayen notoire.

Oui, cela relevait déjà de l’insulte, mais en plus, Ovechkin s’est permis de venir enfiler ce 544e à Montréal. Parfaitement : sous la bannière du numéro 9 suspendue à la voûte du Centre Bell Téléphone. Où Canadien, faut-il le rappeler en italiques, n’a jamais remporté un traître championnat ni même un titre loyal. Il est abondamment clair, chers amis, qu’un tel affront ne se serait jamais produit au Forum. Les fantômes, qui ont refusé de déménager, se seraient chargés de voir à ce qu’Ovechkin s’enfarge dans la ligne bleue et soit envoyé au cachot purger une mineure pour avoir joué la comédie. Comme ça se faisait dans le temps, quand Red Storey ou Chaucer Elliott officiait.

Ce camouflet d’Ovechkin — qui a dépassé Richard mercredi — serait tout s’il n’y avait autre chose. Car lundi soir toujours, pas longtemps après, Roberto Luongo a battu les Devils du New Jersey 3-0. C’était sa 448e victoire en carrière.

Ce qui l’a fait passer au 5e rang de l’histoire, devant Terry Sawchuk.

Oui : Terry Sawchuk. Celui-là même. Qui a défendu toute son existence durant une cage froide et vide et impersonnelle avec pas de masque (ou si peu, à la fin). Qui avait plus de cicatrices dans le visage qu’il n’y a de candidats à la direction du Parti conservateur, ce qui n’est pas précisément peu dire. Qui jouait à une époque où les jambières prenaient l’eau, les maillots et les bâtons aussi, de telle sorte qu’à la fin du match, l’équipement pesait 50 livres de plus qu’au début. On essaiera, n’est-ce pas, de pratiquer le style papillon dans de telles circonstances ; la technique de la posture s’apparenterait plutôt à celle de la chenille.

A-t-on aussi mentionné que Sawchuk et ses contemporains voyageaient à cheval pour aller jouer à Chicago et que l’allocation quotidienne pour leurs petites dépenses était de 10 ¢, qu’ils devaient ensuite rembourser au propriétaire de leur club sous peine d’être envoyés moisir dans les circuits inférieurs, où on enfilait son stock près du poêle à bois dans la petite cabane et où il fallait s’arrêter toutes les demi-heures pour pelleter ?

Il faut avoir un peu de respect pour les aînés et voir que leurs records sont bien plus grands que tous ceux qui les ont dépassés. Sinon, je vous le demande, où ira le monde ?

 

Une chance qu’il y a la Ligue nationale de football pour perpétuer les traditions et amener un peu d’ordre dans tout ce fracas de bruit et de fureur. Ainsi, la saison dernière, les Rams de St. Louis sont-ils retournés à Los Angeles.

Bonne affaire de faite, comme avait coutume de dire ma mère-grand. Les Rams de St. Louis, il y avait quelque chose qui ne marchait pas là-dedans. Les Rams de Los Angeles, par contre, voilà du solide. Ne leur reste maintenant qu’à revenir en permanence aux uniformes bleu et jaune et on pourra dormir le soir.

Et cette semaine, les Chargers de San Diego ont annoncé qu’eux aussi s’en vont à L.A. Une question de stade et de fonds publics, pour faire changement. Ainsi prend fin une parenthèse de 56 saisons qui, disons-le, n’avait guère d’allure. En 1960, à leur campagne inaugurale dans la vieille Ligue américaine, les Chargers jouaient à Los Angeles. C’est toujours comme ça que ç’aurait dû être.

Prochain dossier : la renaissance urgente des Seals d’Oakland.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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