Le flagrant délit des radars photo

La mise en service des appareils de radars photo a été saluée à juste titre comme une mesure destinée à renforcer la sécurité routière. Mais elle repose sur des preuves essentiellement captées par des outils technologiques. Dans un jugement rendu en novembre, le juge Serge Cimon a conclu que la preuve recueillie à l’aide de ces appareils était inadmissible devant un tribunal. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé qu’il ne fera pas appel de ce jugement.

Mais le jugement révèle la légèreté avec laquelle le dispositif a été déployé, sans porter l’attention requise aux exigences de la loi. Cela laisse songeur sur l’attitude des services chargés de l’application des lois sur la sécurité routière. Il a fallu qu’une citoyenne fasse l’effort de contester son constat d’infraction pour que soient révélées les failles du processus par lequel les excès de vitesse sont punis.

Processus d’infraction

Dans cette affaire, il était reproché à une citoyenne d’avoir circulé à une vitesse de 141 km/h dans une zone de 70 km/h. Le poursuivant a déposé en preuve le constat d’infraction, le rapport d’infraction général ainsi qu’un certificat émanant de la Société de l’assurance automobile du Québec. Lors du procès, la signataire du rapport d’infraction a été contre-interrogée. Elle a expliqué comment s’effectue le traitement d’une infraction d’excès de vitesse constatée par un appareil de radar photo. D’abord, l’appareil capte des vitesses et prend des photographies. Quelques jours plus tard, une agente traite le constat ; elle ouvre un dossier et sélectionne une photographie pour y lire l’information figurant sur la bande noire se trouvant sur la partie supérieure de la photographie. Celle-ci contient notamment le code du site, la voie de circulation, la limite de vitesse applicable ainsi que la vitesse du véhicule captée par le radar photo.

Une fois cette information vérifiée, elle s’assure de la concordance avec le véhicule apparaissant sur la photographie. Ensuite, l’agente rédige un rapport d’infraction dans lequel elle atteste que les informations se trouvant sur la photographie correspondent à celles contenues aux registres des policiers.

Afin d’assurer la précision de la mesure de vitesse et que les informations apparaissant sur l’image obtenue par l’appareil sont exactes, le règlement prescrit que l’appareil doit avoir fait l’objet d’une validation par un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée. De plus, il doit avoir fait l’objet d’une inspection et un agent de la paix ayant reçu une formation appropriée doit l’avoir vérifié dans les sept jours précédant son utilisation.

Conformité à revoir

Pour démontrer le respect de ces exigences, l’agente atteste, dans son rapport d’infraction, avoir personnellement constaté que l’appareil a été utilisé conformément au règlement. Or, cette attestation se révèle totalement fausse. L’agente admet ne pas être une technicienne qualifiée et n’avoir reçu aucune formation appropriée lui permettant d’effectuer de telles vérifications. Elle ne fait qu’une affirmation générale sans pouvoir indiquer les vérifications effectuées. Elle ajoute qu’elle « sait que chaque semaine des policiers au bureau effectuent des tests sur les appareils pour s’assurer que le système fonctionne bien », mais elle n’est pas en mesure de spécifier de quels tests il s’agit. L’attestation apposée par l’agente sur son rapport d’infraction s’appuie entièrement sur des informations recueillies et constatées par des tierces personnes. À l’instar des tribunaux d’appel, le juge a conclu que ce genre de preuve par ouï-dire n’a aucune valeur probante selon la loi.

Ce jugement a été rendu plusieurs mois après la mise en service des radars photo. Entre-temps, plusieurs citoyens ont été condamnés par l’intermédiaire de ce processus déficient. Le déploiement des radars photo n’a manifestement pas été accompagné d’une revue sérieuse des processus et des exigences découlant de la loi. Quelle analyse a été effectuée afin d’assurer que le recours à ce type d’outils respecte les règles de preuve ?

De plus, dans cette même affaire, le DPCP anticipant que le juge allait rejeter les preuves présentées a cherché à retirer le constat d’infraction en vertu duquel la citoyenne avait été accusée. À lui seul, un tel procédé est inquiétant : dès qu’un citoyen fait l’effort de se défendre, on tente de retirer le constat afin d’éviter qu’un juge démonte le stratagème bancal !

Le souci de l’état de droit aurait commandé que les autorités s’assurent a priori de la conformité du dispositif avec les exigences de la loi. On a plutôt attendu qu’un tribunal constate ce flagrant délit de nonchalance. Cela en dit long sur l’état d’esprit qui prévaut en certaines officines. Le déploiement d’outils afin d’améliorer la sécurité routière mérite plus que ce cynisme à l’égard des exigences de la loi.

À voir en vidéo