Noël, terre de symboles
L’autre jour, entre les piles de produits de saison estampillés aux comptoirs « tout pour Noël », je suis tombée sur l’album de chansons Bob Walsh Christmas du bluesman québécois disparu le mois dernier ; courant l’acheter à son souvenir.
Décembre donne envie de saluer ses morts en revue de l’année. Chez Archambault s’empilaient plusieurs disques de Cohen aussi.
Sur la pochette, Bob Walsh était encore rondouillard et rieur, avec un affreux costume rouge et blanc de père Noël. Tout le monde devient un peu kitsch durant le temps des Fêtes. Les producteurs des albums de Noël forcent les artistes à se transformer en livreurs de bébelles pour la couleur locale.
La photo de Bob Walsh avait été prise avant que les troubles cardiaques ne creusent son visage, puis ne terrassent son corps. Le coeur est sans pitié parfois. Le sien lui laissait peu de répit depuis plusieurs années. Déjà en 2003, la sortie de ce CD-là avait été retardée pour cause d’ennuis de santé. L’album est toujours là, sur les étalages, 13 ans plus tard. Symbole de survivance et rituel aussi.
Avec la crise du secteur de la musique, l’atout des disques de Noël, c’est de reprendre du service une fois l’an. Genre indémodable garanti, à semaines fixes, nostalgie aidant. Tout ça pour une clientèle d’habitude frileuse, qui se rue soudain sur la dépense durant le mois des cadeaux.
Ne vous demandez pas pourquoi tant d’artistes québécois (ou autres), d’André Gagnon à Alain Lefèvre, de Ginette Reno à Marc Hervieux, se sont offert l’album de saison sur glace. Appelons ça un des derniers bons investissements d’une industrie hélas ! en perte de souffle.
J’aurai acheté Bob Walsh Christmas pour des raisons sentimentales, sans apprécier les tounes du Noël commercial, goûtant plutôt ses interprétations d’Amazing Grace et d’Ave Maria. Et même un coup parti de Christmas Comes but Once a Year, pour les harmonies de sa voix avec celles du tout jeune guitariste et bluesman ontarien Jimmy Bowskill. N’empêche ! Walsh était plus à l’aise dans le blues et ça s’entend. Après la dernière chanson de l’album We Wish You a Merry Christmas, son rire résonne : « Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! », comme s’il avouait : « Je ne me prends pas au sérieux dans le registre, mais il faut bien gagner sa vie. Et je vous la souhaite bonne et heureuse avec ça !»
Du coup, je le revoyais dans les bars enfumés du Vieux-Québec à ses débuts. Malgré sa voix exceptionnelle, ses talents de guitariste, son amour éperdu du blues et son charisme, il avait mis bien du temps à se faire reconnaître, ce musicien-là. Sans doute — étroitesse d’esprit de sa société — pour avoir surtout chanté en anglais, langue intime de Summertime et de St James Infirmary. Allez ! Bob Walsh, ça prenait ta voix et ta mémoire pour me faire écouter ce coup-ci Sleigh Ride sans grimacer dans le Montréal tout blanc. Bon repos !
Sous le sapin éclopé
Mon petit album sous le bras, j’ai atterri à la place des Festivals devant la star décriée de l’heure, ce sapin géant qui tangue d’un bord comme après « un p’tit coup de blanc » ; le lorgnant du coin de l’oeil, histoire de voler à son secours au cas où…
Tout compte fait, sa gueule cassée m’est apparue typée, sa robe dégarnie fièrement trash, sa hauteur pleine de classe ingénue. On ne lui chantera pas en choeur Mon beau sapin et c’est tant mieux. Plutôt un vers tiré de La vierge noire de Nelligan : « Elle porte toujours ses robes par lambeaux… »
Et puis, au rythme où l’humanité décime ses forêts, c’est le type d’arbre qui prouve à quel point chacun trouve (ou pas) sa lumière après la course à obstacles, le laissant hirsute et poqué. Comme le peuple québécois en somme.
Nos questionnements identitaires prenant les formes qu’ils peuvent, celle d’un sapin éclopé semble taillée sur mesure pour les méditations au coin du feu. Le temps des Fêtes se veut farci d’accessoires pure laine et allons-y : dinde, tourtières et rigodons, servis une fois par année comme le Bob Walsh Christmas, aussi vite remballés au fond de la boîte à bois. Pas grave !
En crise existentielle permanente — qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? —, on a bien des modèles précis à offrir aux nouveaux venus. Oui, mais lesquels ? Chacun y va de sa suggestion…
Ainsi, dans le documentaire Le goût d’un pays de Francis Legault, en salles depuis vendredi. Chouchou du public aux derniers RIDM, ce film, qui prend le sirop d’érable comme allégorie du Québec, invite dans sa cabane à sucre Gilles Vigneault et Fred Pellerin. Il est rempli de bonnes idées, mais s’effiloche comme les branches du sapin et distille malgré lui la mélancolie.
Les deux poètes, à des générations d’intervalle, ont planté leurs villages respectifs, Natashquan et Saint-Élie-de-Caxton, en mats au centre du monde, faisant rayonner le Québec autour. Sauf que leur société n’est pas trop lumineuse par les temps qui courent. Alors devant leurs yeux passe l’ombre des rendez-vous manqués et le symbole du sirop d’érable y prend un goût amer que personne n’osera nommer.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.