L’actionnaire propriétaire
Le président et chef de la direction du Fonds de solidarité a repris le thème des sièges sociaux lundi. De l’allocution de Gaétan Morin, on peut se demander : à quoi bon stimuler l’entrepreneuriat et soutenir la croissance de nos entreprises si leur propriété québécoise reste menacée par le premier actionnaire touriste venu.
L’étiquette d’actionnaire touriste a été popularisée par Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP). Gaétan Morin a plutôt évoqué lundi la notion d’actionnaire propriétaire. Mais tous deux font l’éloge d’un certain « capitalisme de propriétaires » et dénoncent la dictature de marchés obnubilés par les rendements de court terme ou imposant leur diktat de l’immédiat.
Cette polarisation appliquée aux prises de contrôle ramène aux décisions législatives venant soit confirmer la primauté de l’actionnaire, soit accorder au conseil d’administration un pouvoir d’intervention tenant compte des intérêts des diverses parties prenantes. L’importance de ce choix du cadre juridique va trouver sa pleine justification lorsque la tentative de prise de contrôle est non sollicitée, voire hostile.
Dans sa présentation, Gaétan Morin revient à ce Québec qu’il souhaite toujours plus entrepreneurial. Il invite les institutionnels à investir davantage dans nos sociétés publiques afin de renforcer la propriété québécoise. Et à se questionner quant aux moyens d’« inciter nos entreprises à poursuivre leur croissance et à maintenir leur siège social ici, au Québec ».
Pourquoi se préoccuper de création d’entreprises, voire du taux de remplacement et de renouvellement des moyennes et grandes entreprises, si elles sont condamnées à passer en des mains étrangères ou si elles échouent à l’épreuve du transfert intergénérationnel ?
L’objectif n’est pas d’entraver la fluidité naturelle des investissements directs, d‘autant que les entreprises québécoises se font plutôt actives sur le terrain des acquisitions hors Québec. Le président du Fonds de solidarité FTQ parle d’un ratio 1 pour 3, 87 entreprises québécoises étant tombées aux mains d’étrangers entre 2010 et 2016, alors que 258 entreprises étrangères sont passées sous giron québécois. D’autant, aussi, qu’une logique de vente peut être souhaitable afin d’assurer la pérennité de l’entreprise ou d’en renforcer son potentiel de création de valeur à long terme.
Ajouter à l’arsenal
L’objectif est plutôt d’ajouter à l’arsenal des entreprises devant esquiver une manoeuvre de prise de contrôle non sollicitée. Et là, le recours à une défensive de blocage venant d’une tierce partie, ou du gouvernement lorsque l’entreprise visée est stratégique ou systémique, a vite démontré ses limites et son coût élevé.
On en revient à ces lois et réglementations condamnant les conseils d’administration à agir uniquement dans l’intérêt des actionnaires. À n’être qu’un « courtier » dont le seul rôle est d’obtenir le meilleur prix, a déjà illustré Yvan Allaire. À cet encadrement qui prive « les conseils d’administration de la possibilité d’évaluer une offre en fonction des intérêts à long terme de l’ensemble des parties prenantes », déplore Gaétan Morin. Il ajoute à la réflexion cette rémunération incitant les dirigeants à s’aligner sur le rendement financier à court terme. Pire, à être les premiers grands bénéficiaires d’une offre d’achat.
Maintes fois, dans les diverses études sur le sujet, il est évoqué l’initiative de l’Autorité des marchés financiers (AMF) visant à infléchir les changements législatifs requis. Mais une action québécoise unilatérale, sans écho fédéral, n’a qu’une portée limitée. Maintes fois aussi a-t-on associé les propositions de l’AMF à ce qui se fait au Delaware, tout en louant l’expérience américaine en matière de mesures de protection contre les prises de contrôle hostiles.
À l’invitation du ministère québécois des Finances, le cabinet Blakes, Cassels Graydon s’est penché sur la législation américaine pour déterminer cinq grandes approches, appliquées dans la moitié ou plus des États. Quatre d’entre elles reconnaissent la préséance du pouvoir éclairé du conseil d’administration sur la prérogative des actionnaires.