Pour en finir avec l’iniquité salariale
Lundi prochain, le Québec célébrera le vingtième anniversaire de l’adoption de la Loi sur l’équité salariale par l’Assemblée nationale. Lorsqu’elle a vu le jour en 1996, l’écart salarial horaire entre les hommes et les femmes était alors de 15,8 %. Son avènement a créé de l’espoir chez bien des femmes, mais toute une onde de choc pour les entreprises de plus de dix personnes salariées. Vingt ans plus tard, l’écart salarial horaire entre femmes et hommes a baissé à 9,9 %. Cette loi a changé la vie de plus d’un demi-million de personnes au Québec. Elle a accordé de meilleurs revenus à de nombreuses travailleuses, a augmenté leur pension à la retraite et a contribué à de meilleures conditions de vie notamment pour les femmes chefs d’une famille monoparentale. Aujourd’hui, 88 % des entreprises auraient atteint l’équité salariale au Québec.
Néanmoins, il reste bien du chemin à parcourir. Selon les données de la Commission sur l’équité salariale, 3600 entreprises n’auraient toujours pas réalisé leur révision des salaires. L’écart salarial horaire entre les femmes et les hommes n’ayant baissé que de 5,9 % en 20 ans, faudra-t-il attendre près d’un demi-siècle pour que disparaisse l’écart persistant et honteux de 9,9 % ? Au moment de publier son rapport annuel, le Forum économique mondial déclarait le mois dernier qu’il faudrait patienter encore 170 ans pour en finir avec les disparités économiques entre les femmes et les hommes.
Il importe que l’on redouble d’efforts pour faire une promotion permanente de la loi afin de s’assurer qu’elle soit bien comprise dans tous les milieux, en particulier ceux où il y a de la résistance de la part d’employeurs. Selon la Commission sur l’équité salariale, une confusion ralentit l’impact de la loi. Lorsqu’on parle « d’équité salariale », l’on ne cesse de la confondre avec « l’égalité salariale ». L’égalité salariale consiste à attribuer un salaire égal pour un même travail ; par exemple, avec les mêmes qualifications et le même nombre d’années d’expérience, une caissière devrait recevoir le même salaire qu’un caissier. L’équité salariale, quant à elle, exige un salaire égal pour un travail différent, mais jugé équivalent. Dans un hôtel, le travail d’une préposée à l’entretien a une valeur comparable à celui d’un portier et devrait ainsi être rémunéré au même taux.
L’application de l’équité salariale s’effectue en évaluant les équivalences entre les emplois à partir des critères suivants : les qualifications requises ; les responsabilités assumées ; les efforts exigés ; et les conditions de travail. L’application de la loi et la réduction de la discrimination salariale systémique représentent un travail de longue haleine qui requiert à la fois proaction et vigilance, même auprès des employeurs qui ont atteint l’équité salariale.
Au-delà de la loi, n’y a-t-il pas des équivalences collectives à faire entre les métiers ? En 2016, malgré une mixité graduelle dans plusieurs secteurs, la ségrégation professionnelle entre les sexes perdure. Les femmes sont encore majoritaires dans des postes traditionnellement féminins, à temps partiel et au salaire minimum, ce qui les expose à des conditions précaires. Ces réalités sont particulièrement celles des femmes autochtones, des minorités visibles, des immigrantes, ou qui vivent avec un handicap. Cette division du travail est un lourd héritage du passé. Pour rompre avec ce dernier, les nouvelles générations doivent exiger de meilleures pratiques de conciliation famille-travail et encourager l’ambition professionnelle de toutes les femmes.
Il y a des défis importants, tel celui de l’écart salarial alarmant entre les femmes et les hommes non diplômés. Au Québec, un peu plus du quart de la population féminine travaille sans diplôme ; lorsque ces femmes sont employées à temps plein, elles obtiennent seulement 69,8 % du salaire médian annuel des hommes non diplômés. Et même avec un diplôme en poche, les femmes ne touchent que 80 % du revenu annuel des hommes diplômés. Si la Loi sur l’équité salariale ne peut régler à elle seule l’ensemble des disparités salariales, elle demeure un outil essentiel pour les atténuer. Pour ses 20 ans, souhaitons-lui qu’elle franchisse de nouveaux caps décisifs pour réaliser son plein potentiel.
Le mois dernier, des milliers d’Islandaises ont symboliquement cessé leur journée de travail à 14 h 38. Selon elles, il s’agit de l’heure théorique à laquelle elles ne sont plus payées lorsque l’on compare leur salaire à celui des hommes. Au Québec, pour chaque dollar gagné par les hommes, les femmes obtiennent en moyenne seulement 80 cents. Lundi prochain, à quelle heure les Québécoises devraient-elles quitter le boulot ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.