«Risky Business»
Le président désigné américain a beau revendiquer son appartenance au climatoscepticisme, le désinvestissement fossile est déjà solidement engagé. Donald Trump pourra bien passer de la promesse à l’acte, l’Accord de Paris est vite devenu un catalyseur symbolique, tellement il était dépassé avant même sa signature.
L’ombre de Donald Trump planait sur la COP22 à Marrakech. Le monde politique réuni au Maroc n’a pas caché sa crainte d’assister à un important ressac d’un éventuel désengagement des États-Unis dans cette mobilisation mondiale contre le réchauffement climatique. Mais l’autre monde, celui des affaires et des investisseurs, est venu réaffirmer qu’il a déjà fait sienne l’adéquation entre la prospérité et le bas carbone.
En juin 2014, avec la publication du rapport Risky Business, de grands noms du monde des affaires américain se voyaient dans le rôle de « messagers de l’apocalypse climatique ». Ce qui prenait alors, pour certains, des airs de jovialisme est devenu deux ans plus tard une réalité bien incarnée dans les plans d’affaires et les modèles d’évaluation « risque rendement ». On n’en est plus à se colleter sur le thème de l’Anthropocène.
En 2014, trois grands commanditaires déposaient un rapport s’appuyant sur des signatures venant tant du rang démocrate que de celui républicain pour dresser une corrélation entre la protection de l’environnement et la croissance économique. Le comité des risques retenait que ne pas actualiser les externalités négatives venant des conséquences sur l’environnement en général, de l’impact du réchauffement climatique en particulier, relevait du déni. Mercredi, plus de 360 entreprises, pour la plupart américaines, ont écrit une lettre au président désigné pour lui demander de respecter l’accord sur le climat adopté par la communauté internationale fin 2015. Ne pas favoriser une économie bas carbone mettrait en danger la prospérité américaine, met-on en exergue. De la dénonciation, ces dirigeants sont passés à la certitude.
Acceptabilité collective
Au lendemain de l’élection américaine, le collectif Business for Social Responsability (BSR) prenait le micro. « Le monde des affaires devrait réaffirmer publiquement que la construction d’une économie durable sur le plan environnemental est inévitable et irréversible, et que tout gouvernement américain convaincu du contraire hypothèque son économie et l’avenir de sa population », pouvait-on lire dans un texte publié samedi dans Le Devoir. BSR réunit quelque 250 poids lourds de l’économie, dont Shell, Boeing, Unilever et Dow Chemical. « Le débat est déjà terminé dans la plupart des entreprises. Il est bien connu que l’avenir des affaires doit être durable. » Dans la foulée, ExxonMobil réitérait son appui à l’Accord de Paris.
Il est déjà accepté que les cibles de l’Accord sont insuffisantes et dépassées par la rapidité des changements mesurés et les limites de la modélisation. Qu’il faut faire plus. Sur la trame économique, l’énergie fossile est devenue réductrice du PIB potentiel pour les pays concernés. À une plus grande échelle, le poids de la preuve scientifique et la dynamique du système financier suggèrent que « les changements climatiques menaceront les assises de la finance et la prospérité à long terme », a déjà prévenu Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui s’exprimait à titre de président du Conseil de la stabilité financière.
Engagement
Les grands investisseurs institutionnels sont engagés dans la décarbonisation de leur portefeuille et dans la normalisation de l’empreinte carbone, et les entreprises, dans celle de leur actif ou dans l’adoption de cibles de réduction des GES. L’acceptabilité collective et l’actualisation du passif environnemental, tant en amont qu’en aval, s’intègrent dans les plans d’affaires et les modèles de prévision. Et les grands producteurs d’énergie fossile se positionnent quant à une ère postcarbone sous la pression de leurs actionnaires, des grands investisseurs et de leurs créanciers.
HSBC, Deutsche Bank et d’autres classent désormais la filière fossile dans la liste des risques financiers. La banque Barclays a été plus loin en proposant un « business » de la décarbonisation, y voyant l’occasion de sortir l’économie mondiale de sa longue phase de stagnation séculaire.
La marche est irréversible, dit-on. Reculer serait une « risky business ».
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.